
Anthony Passeron
277 pages
Éditions Globe, 25 août 2022
Fin de lecture 16 août 2022.
Je remercie les Éditions Globe de m’avoir adressé ce premier ouvrage d’Anthony Passeron dans le cadre d’un service presse, et l’auteur pour sa sympathique dédicace.
Qui sont les Enfants endormis ? Ce pourrait être les vôtres, ou les miens. En l’occurrence, ce sont ceux que l’on trouve dans l’arrière-pays niçois dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, une seringue plantée dans le bras.
Ils sont ceux que la drogue détruit, peu à peu, au point qu’ils mentent, volent, arnaquent pour se payer leur dose, celle qui leur sera peut-être fatale immédiatement, ou à petit feu. Car si l’overdose les guette, un mal sournois s’infiltre dans les aiguilles qu’ils se repassent : le sida.
Dans Les Enfants endormis, Anthony Passeron mêle, avec pudeur et habileté, les découvertes pas-à-pas d’un petit groupe de scientifiques français particulièrement (mais aussi américains) à l’histoire de sa famille et plus particulièrement de son oncle Désiré, dans un contexte social peu évoqué jusqu’à présent. Car on a beaucoup associé le sida au monde de la nuit, au show-business, aux homosexuels. Mais ce roman documentaire inscrit la terrible maladie dans l’ennui des jeunes gens sans souci apparent mais que la ruralité étouffe, et montre comment elle conduit à la déchéance et à la destruction psychologique d’une famille jusqu’alors honorée et respectée.
La méconnaissance de la maladie et de son évolution génère angoisse et tourment à la fois pour le patient et ses proches, au point que cela devient un secret de famille qu’on refuse d’évoquer devant les plus jeunes.
« L’odeur de la Javel. C’est le seul souvenir olfactif qu’il me reste de la maison de mes grands-parents. L’odeur du désespoir de Louise, ramenant son fils de l’hôpital, comme le premier pestiféré du village depuis le Moyen Âge. »
Le déni de la mère de Désiré est poignant. Si elle ne prononce pas les mots, son fils ne pourra que guérir. Sa belle-fille aussi. Et sa petite-fille…
Le soutien de chaque membre de la famille est également touchant. Tout comme le refus des enfants de voir sombrer leur jeune cousine.
Anthony Passeon s’appuie sur la triste expérience familiale pour retracer les débuts de la maladie, les balbutiements des recherches jusqu’aux conclusions déterminantes, dans un style simple et dépouillé. Il montre comment la jeunesse insouciante s’est fourvoyée et combien décrocher de la drogue est difficile, voire impossible. Il évoque les attentes souvent déçues des malades et de leur famille, au rythme des essais scientifiques et médicamenteux.
J’étais toute jeune adolescente au moment de la découverte du SIDA. Je me souviens des articles de journaux, des reportages télévisés, de ce déferlement d’informations plus ou moins douteuses – et il n’y avait pas encore de réseaux sociaux… Cela a marqué toute ma génération et je n’ai pu m’empêcher de frissonner à l’évocation dans ces pages de la persévérance de ces jeunes médecins dont les recherches ont sans doute empêché que les conséquences soient pires encore. Car toute la société pouvait être concernée par ce nouveau virus.
Tout à la fois document historique, sociologique et biographique, ce premier ouvrage est d’une grande qualité. J’ai été intéressée par le récit très clair des avancées scientifiques et profondément émue par l’évocation honnête et délicate de la famille de l’auteur. Je n’ai pu retenir mes larmes, surtout à la lecture du calvaire de la petite Émilie.
Il faut le lire. Ceux qui ont vécu l’époque que retrace l’auteur. Ceux qui l’ignorent. Pour comprendre l’ampleur de cette épidémie terrible qui s’est abattue et qui fait encore, plus de quarante ans plus tard, des ravages.
Coup de cœur !