Les jardins d’hiver

Michel Moatti

287 pages

Éditions Hervé Chopin

Fin de lecture 9 novembre 2020

Je remercie les Éditions Hervé Chopin et Babelio pour m’avoir adressé ce livre dsns le cadre de la Masse Critique d’octobre 2020.

Mathieu Ermine est un jeune attaché culturel qui travaille à l’Institut français de Buenos Aires. L’Argentine, en cette fin des années 70, c’est celle des généraux, des guérillas, des enlèvements et des exécutions pour chaque opposant potentiel à la junte militaire.

Mathieu se contente de vivre tranquillement sans se préoccuper du climat politique lorsque celui-ci le rattrape.

Un jour de 1979, il prend à bord de son véhicule un homme ensanglanté, qui vient d’être libéré d’un des camps de rétention, dénommés « les jardins d’hiver ».

Cet homme s’avère être Jorge Neuman, un intellectuel argentin, professeur et écrivain célèbre.

Neuman explique à Mathieu son parcours, la disparition de sa fille, les tortures subies par sa femme. Alors que le jeune homme prend conscience des risques qu’il court à avoir recueilli le fugitif, et décide de rentrer vite en France, l’écrivain lui remet un manuscrit qui expose la vie politique au sein de l’Argentine.

Neuman lui confie vouloir consacrer le reste de sa vie à chercher Rafael Vidal, le responsable de la mort de sa fille et de sa femme, et disparaît.

Quarante ans après, le jeune homme apeuré s’est mué en homme aguerri, Mathieu est devenu le biographe de Neuman et recherche désormais des traces du disparu.

Le livre est donc le récit par Mathieu de sa rencontre avec Neuman, des recherches historiques que l’écrivain réalise afin de pouvoir écrire ce qu’a vraiment été la vie de l’Argentin. Il est émaillé des extraits du manuscrit confié par celui-ci.

Ce qui est très intéressant, c’est qu’on imagine ainsi le travail effectué par Michel Moatti lui-même pour compiler toute la documentation nécessaire à l’écriture de son roman. A l’instar d’une plongée en abîme. Car certes, c’est un roman, mais la base historique est bien réelle : les rafles, les camps d’extermination, les vols de la mort…

Confronté à des survivants de cette époque tragique, Mathieu se retrouve à éprouver une sorte de syndrome de l’imposteur, lui qui n’a fait que se servir des dires et écrits de Neuman pour rédiger ses ouvrages, sans réellement chercher la vérité sur l’homme dont il racontait la vie. Son cheminement personnel est visible tout au long de son récit, et interroge sur la part de subjectivité de tout biographe sur la relation des activités et ressentis de son sujet d’écriture.

Ce polar plonge le lecteur dans l’horreur des exactions commises en Argentine, mais l’amène aussi à prendre du recul vis à vis du récit de certains : les héros le sont-ils vraiment ? Quelle part sombre recèlent-ils en eux qui pourrait les amener à basculer du côté des lâches et des traîtres ? Comment l’humain devient-il un pantin ?

Pour tout dire, j’ai eu beaucoup de mal à le lire. Non parce qu’il n’est pas intéressant ou haletant, mais parce que justement la base historique et les exactions évoquées sont bien réelles. A chaque fois que je me plongeais dedans, je ne pouvais plus le lâcher, mais dès que je m’arrêtais, j’avais de grandes difficultés à y revenir, d’où le délai qu’il m’a fallu pour le lire, entrecoupé d’autres lectures.

Mais il doit être lu, car c’est le talent de Michel Moatti que de m’avoir fait ressentir ce malaise, et outre l’histoire imaginaire de Neuman, trop peu d’ouvrages de fiction portent sur cette époque trouble de l’Argentine (je vais peut-être enfin franchir le pas et lire le roman de Frédéric Couderc Aucune pierre ne brise la nuit que je n’ai jamais réussi à ouvrir après une rencontre avec l’auteur, tant le sujet me rebutait).

« J’avais vingt-trois ans et mourir me semblait appartenir au domaine des livres et des contes. J’habitais un monde où, comme l’avait écrit quelqu’un dont l’identité ne me revenait pas, « ce sont toujours les autres qui meurent». »

« Rafael Vidal avait été – et Jorge Neuman me l’avait dit puis transmis par écrit de toutes les manières possibles –l’homme qui avait anéanti sa vie. Il lui paraissait normal que le reste de cette vie soit désormais consacrée à l’anéantissement de Vidal. »

« Nous avions laissé derrière nous la barbarie et l’obscurantisme. Qui pouvait imaginer que notre pays allait libérer des monstres comparables aux nazis, qui allaient nous ramener à l’heure des rafles, des camps d’extermination, des sauvageries son nom et de l’assassinat de sang-froid de milliers d’enfants ? »

« Une conscience normale ne doit travailler qu’à cela, pensais-je à chaque fois que je tentais de sonder Isabel Pavón sur ses jours à Lugar del hecho. Effacer, encore et encore. Détruire ces images monstrueuses, ces visages de jeunes gens attachés et battus. Ces heures froides, dans l’antichambre de la souffrance et peut-être de la mort, qu’ils ne voyaient jamais venir, avec ces bandeaux de coton qu’ils avaient serrés sur leurs yeux. »

« Les dictatures ne fabriquent pas de héros. Elle ne fabriquent que des pantins minables aux vies et à l’avenir sinistres. Elles ne fabriquent que des traîtres et des morts dont on trahira le souvenir. »

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Wonderland

Jennifer Hillier

425 pages

Éditions Points, 2018, Hugo et Cie, 2016

Fin de lecture 6 novembre 2020 (Lu dans le cadre du challenge The Black November 2020)

Bienvenue à Seaside, petite ville imaginaire de l’Etat de Washington. Cette ville qui dépend exclusivement des touristes qui affluent vers le parc Wonderland.

Et donc bienvenue à Wonderland, ses manèges un peu kitsch, ses wonderboys et ses wondergirls employés le temps d’un été pour se faire un peu d’argent de poche, et sa directrice Bianca.

Mais derrière l’apparence un peu magique du parc d’attraction, se cache la mort d’un jeune homme, puis la disparition d’un autre… de plusieurs autres, en fait.

La nouvelle chef-adjointe de la police, Vanessa Castro, ne pensait pas être impliquée aussi vite dans une affaire sordide, à peine arrivée de Seattle avec ses enfants, après un drame personnel. En butte à l’hostilité à peine voilée de certains de ses collègues, à l’impact de a puissance économique du parc sur les décisionnaires de la ville et de la police, Vanessa doit cependant mener son enquête pour permettre à des parents angoissés de retrouver leurs fils.

Elle y est aidée par le policier Donnie et Oz, le directeur adjoint du parc.

Mais bientôt, Vanessa s’inquiète d’autant plus que sa propre fille, Ava, travaille également à Wonderland.

Sélectionné pour le Prix du meilleur Polar Points en 2018, ce livre est un agréable divertissement, qui m’a sortie d’une mini-panne de lecture. Il est en effet accessible, intéressant par la multiplicité des recherches, mais aucunement prise de tête – j’avais deviné pas mal de choses. J’ai bien aimé certains partis pris de l’auteure, qui est assez juste dans sa vision des adolescents, des rapports femmes/hommes, sans toutefois tomber dans le cliché.

C’est le seul ouvrage traduit en français de son auteure canadienne, qui a écrit six romans depuis 2011.

« Wonderland est l’unique richesse de la ville. S’il se porte mal, Seaside se porte mal. »

« La seule chose qui surpassait sa faim était sa peur de mourir. À petit feu, en souffrant, seul, dans le noir, avec seulement cette vague lueur provenant du fond du tunnel. Il ne pouvait imaginer pire façon de perdre la vie. Carbonisé, noyé, troué par une balle ou saigné à blanc : toutes ces morts étaient plus rapides que ce qui l’attendait. »

« Elle ne put s’empêcher de penser que c’était cool que sa mère soit chef-adjoint de la brigade de Seaside. Si un jour elle avait un pépin, elle mettrait son équipe sur le coup et ferait tout pour elle.

Ça, au moins, c’était une pensée réconfortante. »

Octobre

Søren Sveistrup

Traduction de Caroline Berg

732 pages

Le Livre de Poche, 2020, Albin Michel, 2019

Fin de lecture 23 juillet 2020

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois de juillet.

Quinzième livre lu dans le cadre du jury.

Octobre. Le mois des marrons, qui tombent et jonchent le sol pour le plus grand bonheur des enfants.

Car au Danemark, ils servent à confectionner des petits bonshommes, voire des ribambelles de bonshommes.

Mais l’un de ces bonshommes, portant l’empreinte de Kristine Hartung, la fille de la ministre des Affaires sociales disparue depuis un an tout juste, est retrouvée sur une scène de crime atroce. Cela intrigue, voire inquiète la police. Surtout lorsque cela se répète. Quel lien faire entre cette petite fille considérée comme décédée et ces femmes amputées de leurs extrémités ?

Deux policiers sont ainsi obligés de collaborer dans cette enquête à tiroirs, alors que tout semble les séparer : Naia Thulin, l’experte en informatique qui souhaite une évolution de carrière, et Marc Hess, désavoué par ses supérieurs d’Interpol, qui ne rêve que de repartir.

Entre femmes mutilées, familles disloquées et fond politique tendu, on retrouve avec un grand plaisir le talent de Søren Veistrup, scénariste de The Killing. Il dit aimer faire évoluer ses personnages dans la vie habituelle danoise, sous la pluie, avec les aléas des enquêtes, ces découragements et ces petits coups du destin qui les font aussi avancer : c’est réussi et j’y ai pris goût !

Dans cette histoire à rebondissements, l’auteur tient en haleine le lecteur, qui explore les personnalités tant des enquêteurs, auquel il s’attache très vite, que des potentiels suspects. Avec la ténacité de Hess et Thulin, les ambitions personnelles s’effacent au profit de l’intelligence partagée pour résoudre l’enquête et ainsi dévoiler la noirceur de l’humanité, sur fond d’automne pluvieux.

C’est finement écrit, violent, suscitant des émotions qui oscillent entre compassion et dégoût au détour des pages que l’on dévore sans s’arrêter.

Un énorme coup de cœur !

P. S. : j’avais écouté ce livre en janvier, et ne pensais que le feuilleter pour me le remémorer dans le cadre du Prix des lecteurs… je l’ai relu de la première à la dernière ligne, savourant l’histoire à l’identique !

Citations

« C’est le premier mardi d’octobre. L’automne a tardé à venir, mais aujourd’hui, un ciel bas de nuages anthracite recouvre la ville et c’est sous une pluie torrentielle que Naia Thulin traverse la rue au milieu des voitures, après s’être garée. »

« Hess a eu une semaine difficile. Samedi dernier, Freimann, son patron allemand chez Europol, l’a démis de ses fonctions avec effet immédiat. La sanction n’était ni inattendue, ni injustifiée, mais elle était excessive, tout du moins aux yeux de Hess. »

Le dernier match de River Williams

Vincent Radureau

335 pages

Hugo Poche Collection Hugo Sport, mai 2020

Fin de lecture 29 juillet 2020.

Je remercie les Éditions Hugo Poche pour m’avoir adressé ce livre dans le cadre d’un service presse.

Il n’existe pas tant de romans policiers qui se déroulent dans le milieu sportif, j’étais donc très intéressée par l’histoire annoncée.

Lorsque des jeunes gens découvrent par hasard le cadavre d’un géant dans une faille d’un canyon de l’Utah, le lien est rapidement établi avec la disparition de River Williams, prodige du basket, disparu cinq ans plus tôt en plein milieu d’un match final de la NBA.

Jefferson Collins, lieutenant aguerri, est alors chargé d’enquêter, s’adjoignant les services d’un jeune sergent des services de secours fan de basket, Mickey Perkins. La journaliste Kelly Kaminski, accusée par les supporters d’avoir causé la disparition de River Williams par la révélation d’un scoop juste avant ce match déplorable, revient également dans sa ville natale pour réaliser un reportage.

Sur fond d’une nouvelle rencontre importante pour l’équipe des Jazz de Salt Lake City, ancienne équipe de River, le journaliste spécialisé Vincent Radureau propose une histoire qui mêle habilement arcanes du sport, souhaits d’évolution professionnelle, histoire familiale et Américains de souche.

Sans être exceptionnel, c’est plutôt plaisant : le rythme, les personnages, et surtout, surtout, ces très belles descriptions des paysages de l’Utah, qui m’ont donné envie de faire ma valise et de partir l’explorer, The River de Bruce Springteen dans les oreilles et… avec Mickey pour guide ! 😊

P. S. : J’ai un regret : qu’il n’y ait pas un petit glossaire reprenant les termes spécifiques au jeu de basket, peu accessibles pour la (presque) néophyte que je suis.

Citations

« Il n’était pourtant qu’un rookie, River Williams. (…)

On faisait mine de le cantonner au poste d’ailier fort, mais il avait la taille et les qualités pour briller à tous les postes, y compris celui de meneur ; il pouvait dunker, contrer, tout comme il pouvait passer et shooter à long distance. (…)

Un basketteur capable de dominer la ligue pour de très longues années, de collectionner les bagues de champion.»

« Le soleil se levait lentement sur L’Utah. Depuis le belvédère du Mineral Bottom Canyon, la vue était époustouflante, de celles qui vous font réaliser à quel point les mesquineries humaines sont futiles au regard des splendeurs de la nature. Un panorama si majestueux, si apaisant qu’il valait mieux éviter les selfies triomphants, au risque de passer pour un parfait demeuré. Il suffisait juste d’être là, et d’en prendre plein les yeux. »