Ces orages-là

Sandrine Collette

280 pages

JC Lattès, 2021

Fin de lecture le 29 janvier 2022.

Elle court, Clémence. Court pour échapper à Thomas tout d’abord. Court pour survivre. Puis pour échapper à l’emprise et aux souvenirs.

Il a fallu bien du courage à Clémence pour partir de chez elle. Tiraillée entre la protection offerte par cet homme et les horreurs qu’il lui faisait subir.

« Oui, Clémence est une œuvre de souffrance. Thomas a détruit en elle chaque parcelle de gaieté, traquant la moindre étincelle, le moindre espoir. Personne ne la croit quand elle dit qu’il l’étouffe. Personne ne voit le monstre derrière l’homme charmeur qu’on lui jalouse.

Qu’on le lui prenne ! Elle le donne à qui veut. »

Elle est transparente, Clémence. C’est ainsi qu’elle se voit, qu’elle s’envisage dans les yeux des autres. Petite, chétive, aucun charisme. Thomas n’a eu qu’à la cueillir pour en faire sa chose. Elle peine désormais à se voir autrement.

« Je viens de servir de serpillière à un homme que j’ai pris pour le prince charmant pendant trois ans et j’ai l’impression que c’est entré dans mon ADN. Serpillière un jour, serpillière toujours. »

Elle a trouvé un refuge, Clémence. Une vilaine maison toute cabossée comme elle à l’intérieur. Mais avec un magnifique jardin offert à elle, dont un bassin avec cinq poissons. Enfin, quatre poissons et demi. Le dernier lui ressemble aussi, une part a été ôtée à jamais.

Le jardin et Clémence s’apprivoisent : petit à petit, la jeune boulangère explore son univers, ose se confronter à la pénombre qui tombe, prend sur elle, puis affronte la nuit, Clémence la courageuse.

Mais la solitude lui pèse. Thomas a fait le vide autour d’elle. Elle n’a plus confiance. Et doute aussi d’être intéressante pour quiconque. Même pour ses collègues de la nouvelle boulangerie. Quoi que. Flo lui montre du respect…

Mais surtout, surtout, au bout du jardin se situe un autre jardin. Avec un voisin.

Alors le jardin sert d’appât pour prendre dans ses filets Gabriel, le voisin clairvoyant, lui aussi abîmé par la vie. Une épaule sur qui se reposer quand les terreurs apparaissent, car prendre la fuite physiquement ne signifie pas pour autant en avoir fini avec le bourreau… il est là, tapis, à l’intérieur, il peut surgir à tout moment pour reconstituer son travail de sape. Et puis il peut également se manifester physiquement, malgré toutes les précautions prises par Clémence, les détours, les regards jetés par-dessus l’épaule.

Elle veut avancer dans la vie, Clémence. Bâtir des projets. Mais la peur perdure, chevillée au corps, cette peur obsessionnelle qui peut mener à la folie.

Dans chacun de ses livres, Sandrine Collette explore les ressorts de l’âme humaine et place ses héros face à des choix bien souvent impossibles. Cet ouvrage n’y échappe pas. La situation décrite d’emprise conjugale et de torture psychologique est parfaitement réaliste, les sentiments contradictoires éprouvés par Clémence également.

« Tout s’est fait à l’intérieur, et cela, on ne peut pas le montrer, on ne peut pas porter plainte, on ne peut pas le prouver devant un tribunal. Une sorte de crime parfait. Après, c’est parole contre parole. »

Partir n’arrête pas l’emprise, insinuée au plus profond de l’être qui en a été victime.

Le prodige de l’auteure, c’est d’exposer les faits, les sentiments et les situations pour amener le lecteur à tirer ses propres conclusions. Son écriture ciselée plante à merveille le décor et les acteurs, prend aux tripes par des ruptures de style, s’adapte pour transformer les instants suspendus en accélérations. Les descriptions du jardin sont magnifiques. Les comportements et réflexions des différents protagonistes, majoritairement vues par le prisme de Clémence, les efforts de celle-ci et son combat contre elle-même m’ont profondément touchée.

Un coup de cœur !

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Une autre vie

S. J. Watson

Traduit par Sophie Aslanides

539 pages

Pocket, 2017, Sonatine Éditions, 2015

Fin de lecture 22 mai 2021

Je suis heureuse d’avoir enfin sorti des rayons de ma bibliothèque ce deuxième livre de S.J. Watson (acheté au SMEP en juin 2018…), dont j’avais tant aimé Avant d’aller dormir, lu et relu.

Julia vient de perdre sa soeur, Kate, assassinée à Paris. Bien que les relations entre elles n’aient pas toujours été au beau fixe, Julia ne s’en remet pas.

Parce que c’est elle qui a élevé Kate, parce qu’elle élève aussi Connor, l’enfant que Kate a eu lorsqu’elle avait 16 ans. Pour Kate, pour Connor, Julia veut connaître la vérité ! Alors Julia part à Paris, découvre l’appartement que Kate partageait avec Anna, et les relations sulfureuses que sa sœur entretenait via des sites de rencontres. Julia soupçonne que c’est dans ces contacts que se trouve la vérité et décide de chercher, avec l’aide d’Anna, le potentiel agresseur de Kate sur ces réseaux, à partir d’une liste d’avatars, en utilisant elle-même le compte de Kate, puis un pseudonyme.

En parallèle, Connor devient de plus en plus distant et renfermé, tandis que le mari de Julia, Hugh, fait face à une procédure de faute médicale intentée par la famille d’un de ses patients.

Julia, dont la relation avec Hugh s’est étiolée au fil du temps, se sentant très seule, finit par tomber sur le profil en ligne d’un certain Lukas, qui lui prodigue l’attention dont elle manque tant. Elle est rapidement écartelée entre ses soupçons envers lui concernant le meurtre de sa sœur, son souhait de rester fidèle à son mari, et son désir d’en apprendre plus sur cet homme qui ne connaît d’elle que ce qu’elle veut bien lui montrer :

« « Je veux qu’on se voie. »

Ce qui grandit en moi prend encore plus d’ampleur. Je réalise qu’une partie de moi le veut aussi, mais une autre partie de moi veux juste le regarder droit dans les yeux. Le juger, l’évaluer. Savoir ce qu’il sait, ce qu’il a peut-être fait. (…)

Je ne veux pas que cela arrive. C’est un fantasme, c’est tout. C’est absurde. Je suis simplement en train de l’imaginer parce que c’est impossible. Lukas doit exister enfermé dans une boîte ; il faut qu’il y ait une barrière protectrice entre lui et ma vraie vie. »

Mais Julia succombe… Elle croit ainsi se libérer :

« Lukas me fait sortir de ma coquille, fragment par fragment, il me donne une sensation de sécurité, instant après instant, il m’encourage à m’abandonner. Il permet à mes fantasmes de s’exprimer en les amadouant, ils se déploient devant lui. »

Mais elle risque de se brûler les ailes, car Lukas devient très vite possessif et intrusif… La jeune femme, qui a su se défaire d’un passé douloureux pour vivre tranquillement de son métier de photographe dans sa vie de famille bien rangée, va désormais éprouver les plus grandes craintes de tout perdre.

Je savais que je ne retrouverais pas les mêmes sensations dans cet ouvrage que dans le précédent. J’avais lu quelques chroniques qui me donnaient à penser qu’il était très différent, mais les goûts des uns ne sont pas ceux des autres.

Alors oui, il y a des surprises, des rebondissements, mais j’ai trouvé l’histoire assez longue, et me suis demandée comment l’héroïne pouvait bien se mettre dans une situation aussi tarabiscotée… un peu cousue de fil… disons beige foncé à défaut de blanc !

L’intrigue m’a intéressée mais je ne me suis pas attachée à Julia, peut-être parce qu’elle-même était trop détachée de sa propre histoire, comme si elle la survolait ou la vivait en spectatrice… à travers son écran…

S.J Watson vient de sortir un nouvel ouvrage, je le lirai avec plaisir en espérant y retrouver ce qui m’a fait vibrer dans son premier roman.

La deuxième femme

Louise Mey

335 pages

Éditions du Masque, 2020

Fin de lecture 2 mars 2021.

Un livre acheté à l’automne 2020. Je le voulais vraiment. Impossible pourtant de l’ouvrir pendant longtemps. Puis ouvert… et vite refermé après quelques pages. Pas le bon moment. Laissé de côté parce que tant d’autres attendaient, et sachant que j’y reviendrais évidemment.

Et puis une envie de le lire, le bon moment sans aucun doute. Et je ne l’ai plus lâché.

Sandrine, c’est la deuxième femme. La femme moche, grosse, grasse. En tout cas c’est comme ça qu’elle se voit et se décrit dans ses pensées.

Car même si le livre n’est pas écrit par elle, on est dans ses pensées. On suit sa narration interne, ses pensées les plus intimes, ses espoirs, ses craintes et ses doutes. Le style est en conséquence : des phrases hachées, sans structuration propre, reflet des fugitives ou profondes émotions et réflexions qui traversent son esprit.

Sandrine n’a pas vraiment eu de chance dans la vie. Et puis, celle-ci a semblé un peu lui sourire quand elle l’a rencontré, lui. Lui dont la première femme avait disparu, le laissant seul avec son fils Mathias. Sandrine ne pouvait pas croire qu’il s’intéresserait à elle. Pourquoi elle ? Et puis il l’a accueillie chez lui. Elle est venue habiter ses meubles à lui. Elle a fait ce que lui voulait. Elle s’est conformée à ses désirs à lui. Parce qu’elle l’aimait. Et qu’elle ne comprenait toujours pas pourquoi lui l’aimait. Mais ça, quand s’ouvre le livre, Sandrine commence seulement à en prendre conscience.

Parce qu’un déclic se fait : la première femme, Caroline, a réapparu. Amnésique. Sandrine est un peu jalouse, elle a peur de perdre son homme et le petit garçon auquel elle s’est attachée.

Mais avec le retour de Caroline, lui va changer. En fait, il va surtout montrer encore plus son vrai visage.

L’escalade va pouvoir commencer. Celle de la violence pernicieuse était sous-jacente, elle va se préciser, elle va s’intensifier. Depuis l’isolement psychologique de sa victime jusqu’à la perte de son autonomie financière, tout concourt à une dépendance totale et à la main-mise de l’homme sur sa conjointe. Et les gestes vont rejoindre la parole.

« Il la saisit par le cou et cela n’a plus rien d’un geste de tendresse. Dans un éclair déchirant Sandrine réalise que ça n’en est pas un, que ça n’en a jamais été, que ce n’est pas « Je t’aime » mais « Tu m’appartiens », il se serre et elle commence à étouffer, ça fait mal mais c’est secondaire, elle ne pense pas à la douleur, elle pense à l’air, à l’air qui ne vient plus. »

L’espacement des moments de « lune de miel », et bien sûr l’inversion de la culpabilité. Ce n’est jamais de sa faute à lui s’il fait pleuvoir des coups sur elle.

« (…) je voulais pas m’énerver, mais regarde, pourquoi tu as fait ça sans me demander, moi j’entends ça je me dis tu es avec elles, mais je voulais pas, regarde-moi, ça va, ça va, je t’aime, je voulais pas, il faut pas que tu fasses des trucs comme ça, d’accord, moi je ne m’énerverai plus, je ne m’énerverai plus, c’est promis, si tu fais ça promis plus jamais, ça va aller, je t’aime. »

Alors les pensées de Sandrine vont devoir devenir des actes, au risque de tout perdre, au risque de se perdre.

C’est un roman, ne nous y trompons pas. Mais un roman documentaire. Celui de l’emprise. C’est un roman poignant. Celui de l’attachement d’une femme à un homme qui lui vole sa vitalité, qui la détruit peu à peu. De l’écartèlement entre cet amour pour lui et la prise de conscience qu’il atteint à sa vie à elle, à son intégrité physique et psychique. Je l’ai lue, je l’ai ressentie, je l’ai vécue avec angoisse et boule au ventre, cette peur de regarder la tête de l’être qu’on aime malgré tout, et d’y lire immédiatement si la soirée va bien se passer… Les compromissions à sens unique. Les coups bas et les injonctions contradictoires qui rabaissent constamment.

« Il l’aime comme elle est, elle le sait elle le sait, il lui dit toujours, c’est lui qui la ressert de fromage, lui interdit l’allégé, mais parfois, des fois, il commente son poids, et aujourd’hui est un jour comme ça. Elle baisse la tête, elle ne sait pas quoi répondre, elle ne sait jamais quoi répondre, de toute façon quand il est comme ça il vaut mieux ne rien dire. »

C’est un roman à mettre entre toutes les mains des parents et des jeunes femmes. Pour ouvrir les yeux, pour prévenir… et sans doute pour guérir aussi. Parce que sortir d’une telle relation est un long combat, et qu’il vaut mieux en déceler très vite les ressorts avant d’y plonger tête baissée et de se retrouver enchaînée.

Je veux souligner enfin que l’histoire pointe également un aspect crucial : les policiers qui sont dépeints dans cet ouvrage existent vraiment. Ceux qui croient les femmes meurtries. Ceux qui vont tout faire pour confondre les auteurs de ces violences sur leurs conjointes et sur leurs enfants.

Je le sais. Je les ai rencontrés… il y a vingt ans, leur numéro de téléphone était dans mon répertoire… et je veux leur rendre hommage ici.

Merci à Louise Mey d’avoir posé des mots sur le quotidien de nombreuses femmes, en forme de cri d’alarme, peut-être plus fortement que dans un témoignage : parce si que la réalité dépasse souvent la fiction, La deuxième femme dépeint de façon remarquable la réalité !