La dernière maison avant les bois

Catriona Ward

412 pages

Sonatine Editions, février 2023

Fin de lecture 15 février 2023

Je remercie les Éditions Sonatine pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’un service presse.

Il s’agit du premier thriller de Catriona Ward traduit en français.

Bienvenue dans l’impasse de Needless Street.

Cette maison, la dernière avant les bois, c’est celle de Ted, de sa chatte Olivia et de sa fille Lauren.

Un lieu isolé, décati, à l’image de l’homme qui vit reclus sur lui-même, sans ami. Parce qu’il n’est pas tout à fait comme les autres, avec son physique ingrat. Parce qu’il a aussi, un temps, été suspecté du meurtre d’une petite fille et qu’il a désormais peur qu’on revienne inspecter sa maison ou que le criminel s’en prenne à lui.

« Quand je pense au Meurtrier, furetant autour de ma maison, dans le noir, installant des pièges dans mon jardin–peut-être même s’approchant pour nous épier de ses petits yeux d’insecte, Lauren, Olivia et moi–, mon cœur se met à palpiter. »

Et parce qu’il observe des rituels déroutants pour le commun des mortels.

Tour à tour, chapitre après chapitre, Ted et Olivia exposent leur vision de cette vie routinière, sans charme et émaillée d’une violence consécutive à l’alcool absorbé par Ted.

Cette existence va être cependant marquée par l’arrivée, en face de la fameuse dernière maison, d’une nouvelle propriétaire, Dee, venue chercher la vérité sur la disparition de sa sœur et des travaux dans la forêt qui vont totalement changer le cours des événements.

Les chapitres qui concernent Dee sont exposés par le narrateur.

« Dee pénètre alors dans un monde de cauchemars ; derrière les panneaux de bois qui obstruent toutes les fenêtres se cache une caverne ténébreuse, où quelques rayons de lumière épars viennent se poser sur des concrétions étranges constituées d’objets brisés – Dee remarque que ces rayons proviennent de trous percés dans les planches. »

Voici un livre déroutant, perturbant. En dévoiler plus reviendrait à en donner toutes les clés. J’avais envisagé une partie de l’histoire mais j’ai eu une surprise totale sur un aspect en particulier. La construction du livre, l’alternance des chapitres dont le narrateur change, les allers-retours entre passé et présent contribuent à le rendre dense. L’autrice se place de points de vue différents pour rapporter les mêmes événements, et j’ai adoré les descriptions d’Olivia le chat, probablement issues d’une longue observation de l’attitude des félins.

J’ai alterné la lecture de ce livre avec un autre ouvrage pour échapper à la sensation d’oppression qu’il m’a procurée, l’ai refermé avec une grosse boule au ventre et dans la gorge, et l’impossibilité d’en ouvrir un autre immédiatement. C’est dire combien il m’a touchée.

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Sur un arbre perché

Gérard Saryan

384 pages

Taurnada Éditions, janvier 2023

Fin de lecture 23 décembre 2022

Je remercie les Éditions Taurnada pour m’avoir adressé ce livre de Gérard Saryan, en version numérique. Je découvre ainsi l’auteur, dont c’est le second roman.

Alice est une jeune femme comblée. Enceinte de huit mois de Guillaume, avocat lyonnais en vue, belle-mère adulée par Dimitri, le petit garçon de son conjoint, mais un peu moins par l’aînée Barbara en pleine adolescence, Alice vient de lancer son entreprise de stylisme.

Tout lui sourit donc, ou presque, lorsqu’à l’occasion d’un week-end parisien, Dimitri échappe à la surveillance d’Alice au sein de la gare de Lyon. Le début de l’enfer pour elle et la famille. Tandis qu’Alice subit un grave accident, l’enfant demeure introuvable. Remise, la jeune femme ne parvient pas à échapper à la culpabilité. Alors que ses liens avec Guillaume se distendent, elle décide de mener l’enquête avec acharnement. Tantôt avec la police, tantôt avec l’aide d’un journaliste qui recherche en parallèle une mystérieuse ravisseuse qui sévit depuis quelques années au nez et à la barbe des forces de l’ordre.

A travers l’Europe, avec l’appui de personnes inattendues, Alice se transcende, tout en restant profondément humaine.

Le livre est dense, haletant. Racontés soit par Alice, soit par le narrateur, des événements se croisent via des mini-chapitres, au présent et dans le passé, jusqu’à dévoiler plusieurs terribles vérités.

J’ai été prise par le rythme, par cette attachante héroïne malgré elle qui s’échine à retrouver l’enfant perdu, au-delà de ses propres forces – « Tiens bon Alice, tiens bon » – et des frontières, et en se méfiant de tous.

L’ensemble est si agréable à lire qu’on veut juste suivre la jeune femme dans sa quête de la vérité.

Igonshua ou Jamais sans eux

Eric-Delphin Kwégoué

56 pages

Lansman Editeur, 2019

Fin de lecture 13 août 2022.

Un peu de théâtre en ce mois d’août, avec ce livre chiné lors de la Fin de partie de la Compagnie Issue de Secours en résidence à La Ferme Godier de Villepinte jusqu’en juin 2022.

Igonshua a reçu le Prix 2017 inédits D’AFRIQUE ET OUTREMER.

Au sein d’une maisonnette, à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, un couple, Iko, pêcheur de sable et Stella, sa femme.

En cette soirée où tous deux sont couchés tôt à cause du couvre-feu, ils recueillent une jeune femme éplorée, Igonshua, avec sa petite fille de sept mois. Elle a assisté au rapt de son fils et de son mari, a elle-même été victime de violence. Les militaires rôdent autour dans le village.

En quelques dialogues entre les personnages et une cinquantaine de pages, tout est dit : les dissensions, voire la haine entre ethnies des deux côtés de la frontière, les exactions, les enjeux relationnels au sein des familles, la place de l’homme et de la femme au sein du couple, le poids des traditions, l’amour maternel, le désir d’enfants qui peut faire tout basculer, l’incompétence et l’injustice des gradés omnipotents… Quel tour de force !

Le texte est puissant, sans temps mort.

« J’entends comme une révolte… comme une nouvelle peste… Le peuple hurler de peur… Car les conflits divisent. J’entends le bruit sourd des stylos huppés signer les parchemins de la honte à la place de la majorité patriotique. »

Le drame se joue, implacable. Les monologues de Stella en mal d’enfants et ceux d’Ingonshua évoquant ses malheurs sont poignants. On scande les mots, même en lecture silencieuse, et on se représente aisément les scènes dont le décor minimaliste met en valeur le texte et les personnages.

Je regrette désormais de ne pas avoir eu l’occasion de voir jouer cette pièce… mais certainement pas d’avoir découvert le texte et son auteur !

Montagnes russes

Une envie irrépressible d’enfant…
© CF juin 2021

Scénario Gwénola Morizur

Dessins et couleurs Camille Benyamina

80 pages

Grand Angle, Bamboo Édition, 2 juin 2021

Fin de lecture 2 juin 2021

Je remercie Babelio et Grand Angle – Bamboo Édition pour m’avoir adressé cette bande dessinée dans le cadre d’une Masse Critique privilégiée.

Cette BD retrace l’histoire vraie d’un couple et de son parcours chaotique autour de la procréation médicalement assistée ainsi que l’amitié qui se noue entre une mère et cette femme en mal d’enfant.

L’histoire

Aimée travaille dans une crèche. C’est d’autant plus un crève-cœur pour cette jeune femme qui essaie d’avoir un enfant avec son compagnon Jean. Les affres du test de grossesse infructueux, des rendez-vous amoureux planifiés, puis des traitements qui rendent hystériques (du grec « venant de l’utérus » même si là il ne se passe rien…), et le désarroi quand, mois après mois, s’écoule le sang menstruel…

Charlie, mère célibataire de trois enfants, amène Julio, son petit dernier, à la crèche. Cette maman un peu dépassée, aux rêves professionnels contrecarrés par son statut, va trouver une alliée en Aimée. Et cette dernière, se prendre d’affection pour l’enfant. Trop sans doute. Car elle va suppléer les défaillances de Charlie, au point de garder l’enfant sans sa permission, à l’encontre de la volonté de son mari.

Aimée se met dans une position dangereuse, voire illégale. Et risque de perdre à la fois l’amitié de Charlie et son travail. Tout en essayant un ultime traitement.

La mise en image

La couverture est très belle. Alors que le titre ne dévoile pas forcément le sujet de la BD, le dessin est très évocateur : cela va tourner autour du ventre d’Aimée, de ce qui s’y passe ou ne s’y passe pas.

Dès les premières pages, on sent le dynamisme, mais aussi de la douceur : dans les traits de crayons, dans les couleurs.

Les émotions des personnages sont perceptibles, et l’alternance de bandes et de pages entières contribue à donner de la profondeur au message. Ces grandes planches sans texte sont bouleversantes, tant elles laissent transparaître les désirs – voire les obsessions- et les émotions d’Aimée, celle représentant le lit conjugal entouré d’embryons tout particulièrement.

Mon avis global

Le dessin sert le sujet, et inversement. Les deux artistes ont su se compléter harmonieusement pour créer une histoire compréhensible par tous sur un sujet très douloureux pour les couples qui y sont confrontés. Les émotions des différents protagonistes, en forme de montagnes russes, sont bien transcrites : Aimée qui espère et se pense seule à souffrir, Jean qui essaye de l’épauler comme il le peut, leur amour infaillible malgré les embûches et Charlie dont le souhait est tout autre.

C’est d’ailleurs la gorge nouée que j’ai lu cette BD et suis montée dans un ascenseur émotionnel aux côtés de ses personnages attachants.

Loin d’être caricaturale, elle offre un message d’espoir plein de pudeur à tous ceux dont les rêves mettent du temps à se réaliser. Quelquefois, il est aussi possible de les transformer…

Et l’amitié dans tous ça ? © CF juin 2021