Filles du vent

Mathilde Faure

203 pages

Pocket, 2022, Charleston, 2021

Fin de lecture 23 novembre 2022

Lina, Assa et Céline sont toutes trois hébergées dans un foyer de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) en région parisienne. Y sont placées les jeunes filles dont l’éducation a été retirée à leurs parents du fait du manque de protection apporté par ceux-ci, ou parce qu’elles sont devenues « ingérables » pour leur entourage.

Il y a celles qui confortent leur violence, celles qui tentent de survivre ou quémandent un peu d’amour ou d’attention de la pire des manières, et celles, les moins nombreuses, qui tentent de s’en sortir par les études. Elles ont entre quatorze et seize ans.

Un événement supplémentaire va mettre le feu aux poudres : les femmes qui défilent pour leurs droits, le font, et sont reconnues, elles.

Les adolescentes de l’ASE restent totalement invisibles.

Alors Lina, Céline et Assa, qui pourtant semblent ne rien avoir en commun que d’habiter sous le même toit, décident de fuir le foyer et de montrer par des actions d’éclats leur existence et leur désir d’être enfin prises en considération. Elles ont un délai restreint pour agir, car leur fugue va être rapidement signalée aux autorités.

L’auteure propose, sous couvert d’un roman, une plongée crue dans la vie de ces adolescentes abîmées, incomprises ou délaissées. Ce sont trois histoires qui s’entrechoquent, un périple où des amitiés se forgent, l’action commune soude, bien au-delà des jeunes fuyardes. Servie par son expérience d’encadrement auprès d’enfants placés, Mathilde Faure rend attachantes, chacune à sa façon, ces jeunes filles égarées dans un monde qui les ignore. Elle montre aussi combien l’écoute réelle, l’attention portée, les projets communs peuvent sublimer des êtres humains en déshérence et leur permettre de se faire enfin confiance.

« J’avais assimilé le courage à la force. Aujourd’hui ma réponse serait tout autre. Être courageux, c’est sortir du rang, résister à un ordre que l’on trouve injuste. Le courage, c’est assumer sa différence. C’est refuser d’être invisible. »

Je ne m’attendais pas à cette histoire. Les mots y sont importants, choisis, l’auteure montre combien ils entourent ou tuent ceux qui les reçoivent.

Et j’ai trouvé que le récit s’arrêtait bien trop vite. J’aurais bien accompagné encore Assa, Céline et Lina dans la suite de leur aventure… et leurs combats !

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Quand la ville tombe

Didier Castino

249 pages

Les Avrils, Groupe Delcourt, avril 2021

Fin de lecture 10 avril 2021.

J’avais déjà entendu parler des livres de Didier Castino, notamment Rue Monsieur-le-Prince, car il évoque un fait qui a marqué mon adolescence, mais je n’avais jamais goûté à son écriture.

Je remercie donc Les Avrils pour m’avoir adressé cet ouvrage à la couverture bleu « Klein »… afin que j’en découvre l’histoire et la patte littéraire.

A Marseille, Blanche et Hervé élèvent leurs trois enfants Anna, Marcia et Céleste. Elle est professeur, il est traducteur. Ils s’aiment depuis seize ans, d’un amour fou que rien ne peut séparer. Au lieu de conserver du temps pour eux seuls, ils l’engrangent avec les autres, leurs enfants notamment.

Leur quotidien est fait de simplicité, car tous deux, et surtout Blanche, ne veulent pas gaspiller. Ils se sont connus engagés, ils le sont restés.

On parle de guerre. Cette guerre va arriver. Ils ont milité contre d’autres guerres, elles sont partout désormais. Ils s’en inquiètent durant cette nuit qui précède l’effondrement.

L’effondrement d’un balcon sur Blanche, l’effondrement de la vie d’Hervé et des enfants. La ville qui tombe.

« Dans cette ville, il y avait une rade magnifique, une lumière blanche et d’immense richesses, il y avait aussi une grande misère sociale et des bâtiments sur le point de s’effondrer. »

C’est donc Hervé qui narre la rencontre, la folie de leur amour naissant puis consolidé, leur complicité sans faille.

« Être bien ne se dit pas, ça se vit, c’est tout. Tu parles sans t’en apercevoir, je te devine. Les mots que, surtout, tu veux poser, inutile de les prononcer, je les entends, je les vois dans tes yeux et dans tes mouvements. Dans tes hésitations aussi. »

Il revisite sa relation avec sa bien-aimée, son caractère fort, ses prises de position tranchées, son impression à lui de ne pas toujours être à la hauteur de la jeune femme.

« Ce qui est clair pour toi passe par des explications savantes et concrètes alors que pour moi c’est grâce à des images, des formules, des fragments que je forge mes convictions et quand je les restitue, il arrive que ce soit vague. »

Puisqu’il l’a toujours fait, il continue à dialoguer avec elle, il imagine les réponses sans fard qu’elle lui lancerait. D’ailleurs, est-elle vraiment partie ?

« Notre routine que je découvre me fait tant envie désormais. »

Bien sûr, l’homme blessé, celui qui ne veut surtout pas qu’on le nomme « veuf », celui qui est tant attaché à l’acception initiale des mots, doit également faire face à l’absence physique, aux contraintes du quotidien de parent seul, de référent pour ses enfants.

« Si je pouvais seulement être seul. Ce n’est pas grave d’être seul, j’ai le droit comme dit Marcia, je percevrais moins le manque que ressentent les enfants. (…) Qu’est-ce qui pourrait être à la hauteur de notre vie d’avant ? »

Ce sont les premières fois sans Blanche qui ponctuent cette vie au ralenti, pas comme avant, mais pas encore un après.

Jusqu’à la petite lueur qui va ranimer Hervé, cette étincelle provoquée une fois de plus par son dialogue interne avec la disparue, dans un chapitre que j’ai achevé les larmes aux yeux et le cœur serré.

Didier Castino expose une année de l’existence d’un homme accablé par la perte immense de l’être aimé et des repères qui fondaient leurs projets familiaux, leur volonté de modifier avec leurs faibles moyens le cours du monde.

La richesse du monologue et des ressentis d’Hervé en font un personnage attachant. J’ai beaucoup aimé cette intrusion dans les pensées de « celui qui reste », en proie à de violentes contradictions émotionnelles, l’impossibilité apparente de rompre avec un passé et le chemin de résilience qui peu à peu s’ouvre, élargit le champ des possibles et donc de vivre sans l’être aimé, mais toujours avec lui malgré tout.

Au-delà de l’histoire d’un deuil, ce livre pointe « l’habitat indigne », expression générique qui masque le quotidien de personnes qui payent, pour quelques mètres carrés d’insalubrité et d’insécurité, des loyers exorbitants à des marchands de sommeil avides d’argent ; les vies sacrifiées dans des conflits dont on arrondit les chiffres pour faire disparaître les individualités et éviter ainsi de s’en émouvoir ; les milliers d’autres qui souhaitent échapper à cette mort programmée en essayant de gagner un autre continent sur des embarcations de fortune.

J’ai été émue, profondément touchée par l’histoire et l’écriture, cette italique qui scande l’échange permanent entre Hervé et Blanche, les digressions sur la déformation du sens des mots… et le bleu « Klein ».

Coup de cœur !