Pasakukoo

Le lac, le lodge, l’endroit et l’envers du décor selon la prise de vue. ©CF juin 2021

Roy Braverman

415 pages

Hugo Poche, juin 2021

Fin de lecture 9 juin 2021.

Je remercie Hugo Poche pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’un service presse, et l’auteur pour sa dédicace inattendue. 🤗

A priori, le lac Pasakukoo, dans le Rhode Island, propose un paysage idéal pour profiter de l’été indien. De préférence dans un très beau lodge, agrémenté d’un ponton et d’un canot amarré, permettant d’aller traquer le poisson. Pas vraiment pour nager, l’eau y est bien trop froide.

Il semble donc que les conditions soient réunies pour que deux auteurs qui se détestent cordialement puissent malgré tout écrire en toute tranquillité pour l’un, Benjamin Dempsey, et organiser des fêtes pour l’autre, Aaron Akerman, chacun de son côté de la rive.

« – Vous êtes écrivain, vous aussi, comme Aaron ? finit-elle par comprendre.

– Non, répond-il comme on parle à une enfant pour ne pas la décevoir, moi je suis écrivain. Aaron, lui, écrit des best-sellers.

– Ce n’est pas la même chose ? s’étonne-t-elle.

– Non. Ce n’est pas tout à fait pareil. »

C’est sans compter l’arrivée tumultueuse d’Esther, une jeune femme invitée par le second, et qui va trouver la mort après avoir visité le premier, déclenchant une série de meurtres aux alentours.

Il suffit quelquefois d’une réputation de séducteur pour que le sort s’acharne sur vous. C’est ainsi que Dempsey va être arrêté par le shérif Blansky, dont il aurait séduit la femme puis la fille. Blansky ne le porte évidemment pas dans son cœur et ne serait pas fâché de le laisser croupir en prison. Et tout va bientôt s’écrouler pour Dempsey : plus de lodge, plus de manuscrit, plus d’éditeur. Malgré ses réticences, Blansky va continuer à mener son enquête et découvrir que la disparition de la jeune femme pourrait résulter de causes diverses…

« (…) la vie, c’est les jeux du cirque, Dempsey, le spectacle et la mort, mais le spectacle surtout, le seul sur lequel nous pouvons quelque chose, parce que la mort, elle, échappe à notre emprise. »

Un mystérieux manuscrit écrit par la défunte, un tueur à gage, une valise remplie de billets, de la corruption, un couple d’amants maudits, un duo d’avocats très spéciaux, la rivalité des polices locales, des écrivains amis-ennemis… finalement, passer ses vacances autour du lac Pasakukoo ne s’avère pas de tout repos.

Si vous cherchez le mystère caché par les brumes du lac, si vous entendez cette voix off qui murmure à votre oreille les messages distillés en tête de chapitre, si vous voulez connaître son identité, n’hésitez pas !

Venez plonger votre regard dans ce polar réjouissant, sans temps-mort, hymne à l’écriture, où vous croiserez le pire et le meilleur de l’humanité… dans un décor magnifique.

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Les Grandes Occasions

Alexandra Matine

250 pages

Les Avrils, Delcourt, 2020

Fin de lecture 28 décembre 2020.

Je remercie Les Avril pour m’avoir adressé cet ouvrage, disponible en librairie le 6 janvier 2021.

Une famille : une mère, un père, quatre enfants, les petits-enfants. Mais une famille, ce n’est pas que l’association de personnes qui partagent un patrimoine génétique. Elle se construit également sur le vécu des parents, sur leurs souvenirs, les décisions qu’ils vont engendrer.

Et c’est cela que raconte Les Grandes Occasions. Esther la mère concocte un repas pour sa grande famille qui va se retrouver enfin réunie. Elle se remémore la construction et surtout l’éclatement de sa famille, entre préférences, non-dits et refus de s’impliquer. Elle qui a toujours souhaité garder autour d’elle ses enfants, n’a su surmonter ses propres faiblesses et affronter un mari incapable d’amour.

Qui cependant pourrait en vouloir à Esther de ses lâchetés ordinaires ? Car elle-même est assujettie à la volonté de son mari Reza, qui l’a choisie plus qu’elle ne l’a fait. Dans ce récit d’une mère, transparaît par moments la femme, lumineuse, celle qui se promenait sur la pointe des pieds. Mais la mère prend le dessus, toujours ! Elle est mère dans ses tripes, jusqu’au bout des ongles, même si elle n’ose pas, pour protéger ses enfants, affronter Reza qui ne pense qu’à lui. Portrait de famille, dans son joli cadre, qui se fendille quand on s’approche de trop près : les apparences sauvegardées pour l’extérieur qui doit d’extasier sur la réussite, mais la peine qui ronge Esther de l’intérieur.

J’ai adoré. Voilà.

C’est une magnifique et douloureuse fresque familiale que dessine Alexandra Matine, d’une superbe écriture.

Telle une spectatrice invisible, j’ai suivi Esther dans son quotidien, humé l’odeur du poulet du marché de Paris, celle de l’eau de roses et de fleurs d’oranger d’Iran, frémi avec le jeune Alexandre face à ses partitions détruites, me suis révoltée avec Vanessa. Et puis, j’ai marché sur les splendides tapis persans, tissés serrés et dont Reza peigne les fils afin qu’ils ne s’emmêlent pas… ces noeuds de la tapisserie familiale qu’Esther a voulu serrés, mais, qui craqués, qui distendus, vont peut-être se renouer une dernière fois…

Les silences et les cris. L’impossibilité pour chacun d’exprimer son ressenti, car l’éclatement serait pire encore. Mais les cris jaillissent malgré tout en cette chaude journée de juillet, une grande occasion de se retrouver autour d’Esther.

Un énorme coup de cœur.

« Bien sûr, une mère pardonne tout. Une mère on peut tout lui faire, elle pardonne. Une mère se quitte, s’ignore, se broie, s’oublie. Le délice des enfants, c’est de torturer leur mère en sachant qu’au bout il y aura toujours et l’amour et le pardon. »

« Dans la famille, on ne partage pas les espoirs ni les déceptions, c’est chacun pour soi. Mais personne ne se le dit. Ce n’est pas une règle. Ça s’apprend au cours de l’enfance. Ils ont essayé, les enfants. Au début. Ils ont émis des espoirs. Ils ont parlé aux parents. Et ils ont appris à ne plus le faire.

(…)

Alors on garde les espoirs pour soi. Les envies aussi. Pour ne pas les soumettre à l’énervement qui consume tout. Alors on s’évite. On se frôle en silence pour ne pas déranger la menace tapie. L’énervement, à fleur de peau, qui pourrait éclater. On ne parle que de choses. On ne parle jamais de soi. »