Puisqu’on a marché sur la lune

Alexa Faucher

239 pages

Éditions chèvre-feuille étoilée

Fin de lecture 11 octobre 2022

Je remercie Babelio et les Editions chèvre-feuille étoilée pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’une Masse critique.

Comment surmonter la pire des abjections quand on est une petite fille ? et quand on est sa mère ?

« Les enfants n’ont pas à se soucier de qui sont leurs parents, ils n’ont qu’à les aimer, les inventer, les créer comme ils les veulent quand la réalité manque d’ardeur à la tâche.

Mais tout avait été détruit en une nuit comme une fulgurance qu’une autre venait remplacer déjà, et il ne restait plus rien de normal dans la vie de Nohé depuis ce qui était une éternité pour elle.»

Voici le point de départ douloureux de ce roman. Alors que Nohé accompagne sa mère Héloïse dans ses derniers instants et cherche ensuite à surmonter son deuil, ses propres photographies et les confessions intimes de sa mère jetées dans un carnet au fil du temps évoquent leur vie de tentative de reconstruction.

Avec elles, et dans une sorte de fuite en avant sans fin, on visite Paris, Bordeaux, Lisbonne, Montréal et New-York. De ville en ville, ne pas s’attacher, exercer un œil critique sur la société et son consumérisme, sa bien-pensance.

D’un chapitre à l’autre, Héloïse se dévoile, toujours mère mais habitée d’une violente volonté d’être femme. Elle interroge ses capacités pédagogiques, elle qui entoure et emprisonne Nohé dans son désir de la protéger pour l’avenir. En contrepoids, Nohé grandit, s’affirme, au gré de ses découvertes.

Comment faire cohabiter la mère, la femme, l’amante en un seul être sous la pression de la société ? Les villes traversées par le couple filial leur renvoient également les clichés sur la condition féminine.

Sans vraiment s’en rendre compte, Nohé intègre les valeurs transmises par sa mère, scrute elle-même de son regard d’artiste les villes, les quartiers et leurs habitants, pour en restituer les détails.

Voici un livre dérangeant, touchant, poignant. L’auteure met en exergue les différentes facettes d’une femme tout à la fois forte, fragile, inébranlable… ou presque : la condition de mère quasi sacrificielle pour sauver son enfant et se sauver elle-même de l’indicible, la peur de mal s’y prendre, celle de décevoir, les actes mais sans les pensées qu’il est impensable de partager sauf dans un carnet testimonial, la transmission et le lâcher-prise pour laisser enfin cette enfant s’envoler.

J’ai beaucoup aimé ce premier roman.

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Un long, si long après-midi

Inga Vesper

Traduction de Thomas Leclere

409 pages

Éditions de La Martinière

Fin de lecture le 20 mars 2022.

Je remercie Babelio et les Éditions de La Martinière pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’une Masse Critique privilégiée.

Tout d’abord, arrêtons-nous sur la couverture : magnifique, lumineuse de tout ce jaune qui fait écho à ce chaud après-midi durant lequel Joyce a disparu.

« C’est un bon cliché. On peut presque sentir la chaleur des rayons du soleil qui filtrent à travers les rideaux. »

Si l’on s’approche un peu plus, cette image recèle cependant des détails incongrus. La cuisine familiale est tachée de sang…

Cette souillure va déclencher de nombreuses interrogations, d’abord de la part de Ruby, l’employée de maison, et ensuite des enquêteurs.

Car en ce bel après-midi, lorsque Ruby vient nettoyer la maison, elle découvre deux fillettes esseulées, leur mère disparue, et cette fameuse tache de sang…

Évidemment, c’est Ruby qu’on enferme, car en 1959, une femme pauvre et Noire ne saurait être que coupable.

Mais l’inspecteur Mick Blanke, en disgrâce de New-York, ne se laisse pas compter les codes en vigueur sur la côte Ouest. Pour lui, Ruby est innocente, et mieux, elle va lui permettre d’en apprendre plus sur les riches familles qui entourent la maison de Joyce.

Joyce et Ruby, Ruby et Joyce.

En apparence, tout les oppose. Joyce est Blanche, mariée à Franck. Avec leurs deux enfants, ils vivent à Sunnylakes, quartier chic de Santa Monica. Ruby est Noire, employée par différents propriétaires de Sunnylakes, elle peine à joindre les deux bouts avec les quelques heures de ménage qu’elle décroche.

Ce qui rassemble cependant Joyce et Ruby, c’est leur genre : à la fin des années cinquante, aux Etats-Unis comme ailleurs dans le monde, les femmes s’interrogent sur leur condition et militent pour le changement au sein d’associations féministes.

Même la femme de Mick est adepte de ces mouvements :

« Juste après leur installation à Santa Monica, Fran a découvert le Comité des Femmes pour le Progrès local. Elle s’y est rendue religieusement et sa vie s’est beaucoup améliorée. Celle de Mick, par contre… »

Ruby veut aussi militer pour les droits des Noirs mais son compagnon Joseph s’y oppose… Mais la jeune femme est tenace. Elle a des droits, elle veut les faire valoir. Mieux, elle veut les faire évoluer courageusement :

« Joseph, dit-elle. Tu restes en dehors de mes affaires. Je veux travailler. C’est un vrai travail. Tu dis que nous autres, on est toujours enchaînés. Alors ne commence pas à m’enchaîner, toi aussi. »

Ruby et Joyce avaient créé les liens d’une amitié faisant fi des données sociologiques. Ruby ne peut donc laisser inconnue la destinée de Joyce. Et Mick, homme conscient de ses propres failles et donc contre tous les préjugés de l’époque, fait confiance en la détermination de la jeune femme.

Récit de Joyce, actions de Ruby et de Mick alternent, chapitre après chapitre, pour confronter deux mondes pas si différents au fond :

« Les gens de Sunnylakes, ils vivent au pays des rêves. Et ils veillent à ce que personne ne vienne percer leur bulle. Ils… jouent à faire semblant. »

Avec acuité et quelques pointes d’humour bien senties, Inga Vesper peint avec talent une société américaine en pleine mutation et esquisse plusieurs portraits de femmes aux rêves brisés. Rêves d’égalité et de parité…

Un premier roman de très grande qualité, qui laisse un goût doux-amer.

L’Aile des vierges

Laurence Peyrin

479 pages

Pocket, 2019, Calmann-Lévy, 2018

Fin de lecture 29 juin 2021.

Ce livre mis en avant sur un présentoir, je l’ai choisi sur conseil d’une libraire. Mon premier de Laurence Peyrin, et à coup sûr ce ne sera pas le dernier !

Maggie a déjà bien souffert lorqu’elle intègre sur recommandation la domesticité du manoir Sheperd House dans le Kent, pour y servir la famille Lyon-Thorpe, juste après la Deuxième Guerre Mondiale.

Logée, elle y intègre le couloir réservé aux femmes de chambre, l’Aile des Vierges.

Cependant, descendante de femmes engagées, féministes, elle doit se faire violence pour s’intégrer au personnel dont les individus essayent d’obtenir les faveurs de cette noblesse qui la répugne.

Il est délicat de raconter l’histoire de Maggie sans en déflorer les principales aventures et rebondissements. Et j’ai tant aimé les découvrir que ce serait dommage de spoiler. Aussi vais-je m’en tenir surtout à un avis d’ensemble de cet ouvrage.

Maggie. Quel personnage ! Bien campée, droite dans ses bottes, prête à envoyer paître autrui pour respecter ses convictions. Et malgré tout une femme toute en nuances et en empathie, qui s’oublie pour aider les plus faibles.

Deux périodes très distinctes de la vie de Maggie sont relatées : une première au style « so british », château et parc verdoyant, maîtres et valets, qui m’a fait penser à la série Dowtown Abbey, dans laquelle Maggie devrait rester en retrait pour conserver sa place. Une deuxième, beaucoup plus moderne, beaucoup plus rapide aussi, où se dessine un destin de premier plan pour elle.

Maggie est tournée vers le progrès pour les droits des femmes (même et surtout lorsqu’ils n’existent pas encore en Grande-Bretagne), les acquis sociaux. Son combat sera ainsi pour elle-même et pour ses collègues domestiques notamment, avec parfois une certaine naïveté, charmante, mais opiniâtre. Son naturel la pousse à exprimer ses pensées sans filtre, et ses réparties sont ainsi pleines d’humour et de causticité… et quelquefois déplacées dans le monde feutré de l’aristocratie anglaise.

« Elle eut la certitude qu’ici, personne ne l’apprécierait, et qu’elle entamait aujourd’hui une carrière d’emmerdeuse de bout de table. »

Son ambition est à la mesure de ses convictions, et elle ne saurait stagner dans un univers qui lui déplaît.

Mais au fur et à mesure qu’elle gagne en maturité, elle se trouve écartelée entre des choix publics et privés, entre l’être et le paraître. Cette ambivalence est très bien décrite, et les injonctions reçues en héritage viennent se heurter à son envie de s’épanouir autrement que par des combats féministes, de vivre simplement SA vie, non une ligne tracée par d’autres.

Les personnages secondaires ne laissent pas non plus indifférent, qu’on les aime ou qu’on les déteste ! Certains sont surprenants et donnent du piquant à l’histoire, d’autres sont attachants. J’ai eu un petit faible pour le vieux Monsieur Lyon-Thorpe…

J’ai adoré. J’ai ri, j’ai pleuré. J’ai suivi Maggie dans l’Aile des Vierges quand elle a construit son petit nid, je l’ai accompagnée sous la pluie à la recherche d’un train, dans un petit puis un grand bureau, dans des hôtels… J’ai vécu ses atermoiements et prié pour qu’elle fasse le bon choix.

Voici un très beau portrait de femme. Un voyage entre l’Ancien et le Nouveau Monde. Une histoire d’amour. Une histoire sociale. Une histoire pleine d’humanité. Un coup de cœur !

Complot

Nicolas Beuglet

574 pages

Pocket, 2020, XO Éditions 2018

Fin de lecture 8 mars 2021.

Deuxième opus de la trilogie Sarah Geringën.

Sarah commence une nouvelle vie en Norvège avec Christopher et Simon. Elle n’a pourtant pas la possibilité de savourer pleinement ce nouveau bonheur, car elle est sollicitée par les forces spéciales pour intervenir sur une scène de crime particulièrement abjecte. D’autant que la victime est une personnalité en vue : la première ministre norvégienne.

Sarah va essayer de mener l’enquête alors que nombre d’obstacles semblent lui barrer la route, depuis les instances les plus hautes du pays.

Grâce à l’aide précieuse de Christopher, elle dévoile peu à peu un terrible secret, qui pourrait changer le regard sur l’humanité : c’est une course haletante qui s’opère, les meurtres s’enchaînent, œuvres de barbares commandés par des politiciens sans vergogne.

A la recherche d’autres femmes détentrices de ce secret, Sarah et Christopher bravent les interdits ancestraux jusqu’en Égypte.

Traquée par des ombres jusqu’en Italie, Sarah voit sa vie totalement bouleversée, jusqu’à remettre en cause ses choix récents.

Un livre féministe ! Qui revisite l’histoire, la mythologie et entraîne le lecteur dans les méandres des jeux de pouvoir et de l’emprise masculine sur les systèmes politiques, religieux et économiques.

Nicolas Beuglet se base à nouveau sur une documentation historique précise, adaptée bien évidemment pour servir le sujet du livre, mais qui lui donne un ton particulièrement crédible et permet le maintien du suspense et des retournements de situation qui rendent ce deuxième tome très haletant.

Je me suis régalée !