QI

Christina Dalcher

Traduction de Michael Belano

NiL éditions, 2021

404 pages

Fin de lecture 6 octobre 2021.

Je remercie Babelio et les éditions NiL pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’une Masse Critique privilégiée.

Après le succès de Vox, qui mettait en scène des femmes auxquelles on interdisait de parler, Christina Dalcher récidive dans la dystopie en proposant un monde très très proche dans lequel la vie de chacun est réglée en fonction de son QI.

QI : quotient intellectuel. En 2040, pour pallier le manque d’écoles au regard du nombre croissant d’élèves, Malcolm Fairchield et quelques autres ont inventé le « score Q ». Dix ans après, les femmes enceintes doivent se soumettre aux tests prénatals du dit score, et les élèves également. Si le score est mauvais, l’élève concerné se voit dégradé et envoyé vers une école adéquate. Ce qui se traduit immanquablement par une impossibilité d’évoluer ensuite professionnellement. La société est imprégnée de ce score Q au point que même les cartes bancaires en sont estampillées, ce qui différencie les files prioritaires ou non dans les magasins.

Horrible ? Oui ! Tous tremblent de recevoir un mauvais score, et surtout les familles qui craignent que leurs enfants ne partent dans les cars jaunes, signifiant leur mort sociale.

« Les cars jaunes ne passent qu’une fois par mois, le lundi qui suit le vendredi des tests. Ils ne reviennent pas en fin d’après-midi.

Ils ne reviennent jamais. Pas avec leurs passagers, en tout cas. »

Mais il semble que le système se dégrade, car même de bons élèves finissent par être ramassés par le fameux car jaune.

Or, bientôt c’est la deuxième fille de Malcolm, Freddie, neuf ans, que la pression des tests rend malade, qui se voit rétrograder dans une école de troisième catégorie. Le car jaune passe… Sa mère Elena, la narratrice, ne peut laisser partir sa petite fille sans réagir. Professeure dans un lycée de grand renom, elle va tout mettre en œuvre pour rejoindre son enfant. Bien évidemment sans en informer son mari et leur fille aînée Anne.

Elena va retrouver Freddie et découvrir non seulement une école qui ressemble à un camp de travailleurs, mais également que bien plus grave se trame sous cette couverture éducative.

« Il y a des barreaux aux fenêtres.

D’après mon expérience, les barreaux ont deux fonctions. Soit ils empêchent les gens d’entrer, soit ils les empêchent de sortir. Je me demande, tandis qu’une sensation de malaise s’installe au creux de mon estomac, à quoi servent les nôtres. »

Au fur et à mesure de la narration, on comprend qu’Elena n’est pas tout à fait étrangère à la mise en place du Score Q, même si elle n’en envisageait évidemment pas les conséquences à long terme. Mais ce qu’elle découvre dans l’école de troisième catégorie où est affectée sa petite fille va la terrifier et l’amener à se battre pour changer définitivement le système.

L’exploration du passé, au travers de la grand-mère tant aimée d’Elena, permet de mieux appréhender le drame qui se joue : la jeune femme voit se reproduire sur la génération de sa fille ce qu’avait contribué à stopper son aïeule.

L’auteure y montre également l’amour inconditionnel qu’éprouve Elena pour sa fille Freddie, justement parce qu’elle n’est pas comme les autres, à l’encontre d’un système qu’elle a contribué à favoriser. C’est une sorte de spirale qui se crée, à laquelle seule celle qui l’a initiée peut mettre fin.

J’aime les fondements historiques dans les romans, et celui-ci n’y fait pas exception. Dans cette dystopie eugéniste, Christina Dalcher interroge le regard supérieur que certains peuvent poser sur d’autres, préjugés prémices aux discriminations sociales et à toutes sortes de dérives, malheureusement déjà observées mais sans que l’humanité n’en ait vraiment tiré leçon. Cette sordide page de l’histoire des États-Unis, bien souvent masquée, est ainsi dévoilée au travers d’une fiction accessible à tous… et à mettre entre les mains de tous !

En sus, Christina Dalcher force son personnage principal, Elena, à se confronter à ses propres contradictions : ce qui est valable pour les uns ne le serait-il plus si cela la touche de près ?

Un très bon roman, certes, une base de réflexion importante en plus !

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Poutine, l’itinéraire secret

Vladimir Fédorovoski

260 pages

Le Livre de Poche, 2015, Les Éditions du Rocher, 2014

Fin de lecture 16 juin 2021.

Diplomate, historien et écrivain russe puis français, Vladimir Fédorovski a également collaboré en tant que consultant pour la presse radiophonique notamment. J’ai pu apprécier à plusieurs reprises ses commentaires sur la situation géopolitique russe, ce qui m’a amenée à choisir cet ouvrage offert au cours de l’achat d’autres livres il y a quelques années.

Certes, il date un peu, puisque les derniers événements relatés correspondent aux Jeux Olympiques de Sotchi (2014), mais la connaissance fine de son sujet permet à l’auteur de replacer l’avènement de Poutine dans le contexte des bouleversements politiques de l’ex-URSS.

Nicolas II, Lénine, Staline, Krouchtchev, Brejnev, Gorbatchev, Eltsine, Medvedev… Autant de noms qui ont marqué la fédération puis les nouvelles donnes à la chute du mur de Berlin. Avec le rôle prépondérant du KGB puis de sa version remaniée, le FSB. Poutine est un héritier des politiques menées par eux, qu’il les poursuive à sa façon ou les ait dénoncées.

Sous-titrée « l’itinéraire secret », cette biographie aurait aussi pu s’intituler « l’homme aux mille visages », tant le personnage décrit est multiple. L’auteur évoque ainsi les années humbles puis fastes, entre le jeune homme volontaire et la réalisation effective de ses ambitions, entre pauvreté et richesse incommensurable. Du KGB à la primature en passant par le conseil au maire de Saint-Petersbourg, le président élu s’est appuyé sur une fortune amassée par des hommes de paille ou des sociétés-écran. Les adversaires politiques sont maintenus à l’écart voire pire.

C’est un homme complexe, qualifié ainsi par Mickhaïl Rudy : « Vrai disciple de Marx, mais également de Sun Zi et de Machiavel, il applique les principes de matérialisme dialectique à la perfection : il est tout et son contraire. Cadre du FSB (ex-KGB) et fier de l’être, mais fervent croyant et attaché au passé orthodoxe de la Russie ; fan d’Elton John, mais promulgateur des lois antihomosexuels. »

J’ai apprécié de passer certains événements au filtre de la vision d’un Russe qui a participé à l’exercice du pouvoir. L’auteur replace l’avènement du locataire du Kremlin dans la situation géopolitique de l’époque. Cela m’a notamment permis de regarder certaines situations évoquées par la presse avec le recul d’aujourd’hui, certaines relations internationales actuelles découlant encore des décisions prises alors par Poutine.

Une biographie mais surtout une revue historique et politique très documentée de la Russie de 1900 à 2014.