L’attaque du Calcutta-Darjeeling

Abir Mukherjee

398 pages

Éditions Liana Levi, 2019

Fin de lecture 28 janvier 2023

En préalable à une rencontre avec l’auteur et à la lecture de ses nouveaux romans, j’ai décidé de lire le premier tome des aventures indiennes du capitaine Wyndham.

La Première Guerre Mondiale est terminée, pas l’influence britannique. Son empire s’étend toujours en Inde en 1919, et certains de ses sujets voient d’un mauvais œil la percée des autochtones dans les services publics, dont la police.

Le capitaine Wyndham, rescapé mais profondément marqué par la guerre, et fraîchement débarqué de Londres, est rapidement confronté au racisme, à la place des femmes et à la chaleur torride qui accable Calcutta. Un Blanc, haut fonctionnaire de surcroît, a été manifestement assassiné dans un quartier qu’il n’aurait pas dû fréquenter.

Aidé de Digby, un autre Blanc plutôt raciste et de Sat Banerjee, un brillant sergent Indien, Wyndham doit mener l’enquête au plus vite. Mais en parallèle, un autre crime est commis dans le train postal qui relie Calcutta à Darjeeling. Existe-t-il un lien entre les deux affaires ?

Sur fond de terrorisme latent, de main-mise d’un pouvoir anglais qui s’exerce par la violence faute de contenir le bruit sourd de la révolte indienne, Wyndham et ses collègues mènent leur enquête durant une semaine.

Les réflexions du narrateur, le capitaine Whyndham himself, sur le pays qui l’accueille, se révèlent pleines d’humour :

« Un des avantages des pensionnats anglais est qu’on y reçoit une éducation de premier ordre sur les façons d’entrer et sortir furtivement de n’importe quel bâtiment. »

L’enquête du capitaine le conduit aussi bien dans les palaces des Britanniques fortunés que dans les quartiers mal famés de Calcutta. Inquiet et conscient de la rébellion qui s’annonce et de la prochaine remise en cause de la souveraineté de l’empire, Whyndham l’intègre cherche à démêler le vrai du faux face à la terrible Section H des militaires qui exécute des Indiens à tour de bras. Et s’interroge sur ses propres choix, pas si simples dans cette période trouble.

« Je me sens mal à l’aise. Cet homme va être pendu pour des crimes dont je ne suis pas intimement convaincu qu’il soit coupable. Avant de venir en Inde, je n’aurais jamais imaginé une chose pareille. Et à présent, c’est exactement ce que je me propose de faire. Et pourquoi ? Parce qu’il est plus facile de le condamner que de prouver son innocence. Parce que cela contribuerait à affirmer ma réputation dans un nouveau poste. Parce que la vie d’un Indien a moins de valeur que celle d’un Anglais. »

C’est peu dire que j’ai aimé ce livre. Je me suis régalée de l’atmosphère, de l’aspect sociologique, de l’humour de Whyndham et de ses réflexions sur le pays et ses habitants de tous sexes et origines. Je suis ravie d’avoir pris le temps de déguster cet ouvrage, qui campe bien le décor dans lequel le capitaine exerce ses fonctions, avant de me plonger dans ses autres aventures.

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Sucre amer

Avni Doshi

293 pages

Éditions Globe, janvier 2022

Fin de lecture le 2 janvier 2022.

Je remercie les Éditions Globe pour m’avoir adressé ce premier ouvrage d’Avni Doshi, à la magnifique couverture, dans le cadre d’un service presse.

Antara, la narratrice, décrit sa relation douce-amère avec sa mère, Tara, qu’elle appelle Ma, dans une Inde encore profondément marquée par le poids des traditions.

Antara est tourmentée par les signes de maladie d’Alzheimer dont sa mère souffre très précocement.

Car Antara souhaite plus que tout que sa mère se souvienne. Elle pense qu’à présent devenue adulte, elle pourra dialoguer avec sa mère, lui demander des comptes. Et ainsi effacer les manques de cette femme-enfant qui n’a toujours recherché que son propre épanouissement, souvent au détriment de sa fille.

Le récit s’écrit au présent de la vie de couple d’Antara avec Dilip et de sa recherche artistique complexe, avec de multiples retours vers son enfance et les souvenirs de sa relation à sa mère.

On découvre ainsi que Tara, mariée jeune, n’est aucunement faite pour une vie de couple réglée par les coutumes indiennes ! L’omniprésence et l’omnipotence de sa belle-mère pèsent sur cette jeune femme qui ne rêve que de s’amuser. Elle délaisse son enfant. Mais finit par l’emmener avec elle dans un ashram où elles passeront quelques années. Là encore la fillette n’aura de cesse d’être remarquée par sa mère, amourachée du gourou. C’est cependant une autre femme, Kali Mata, qui lui servira de substitut maternel, sans doute plus approprié que sa génitrice. La maltraitance continue lorsque l’enfant se retrouve rudoyée dans un pensionnat catholique.

Tara ne sait pas être mère : trop absorbée par sa propre existence, son attitude nie celle de sa fille, jusque dans ses recherches artistiques. Et c’est la sourde angoisse de l’abandon, physique et émotionnel, qui prédomine le lien filial.

Alors, aujourd’hui adulte, confrontée à la maladie naissante de sa mère et à sa propre grossesse, Antara doute de ses propres choix : est-elle comme sa mère ? Quelle mère pourrait-elle devenir sans cette référence essentielle ?

La colère s’échappe enfin, l’envie de mettre fin à cette mère qui ne l’a pas entourée et dont elle doit prendre soin désormais.

« Je voudrais qu’en Inde aussi l’euthanasie soit autorisée par la loi, comme aux Pays-Bas. Pas uniquement au nom de la dignité du patient, mais au nom de toutes les personnes concernées.

Ainsi je pourrais être triste, et pas en colère. »

Les femmes et les traditions sont au cœur de ce roman : la mère, la grand-mère, la belle-mère, l’amie de toujours, la nourrice, la servante, … c’est leur place dans la cellule familiale qu’interroge l’auteure, mais aussi au sein même de la société.

Les hommes sont en effet relégués au second plan : plus ou moins absents, tel le père d’Antara, incompréhensifs, coureurs de jupons, plus intéressés par l’avis – la vie ? – de leur mère que de celui de leur femme, …

Cela peut sembler un peu caricatural, mais c’est la vision de la narratrice, forgée par son expérience et vue par le prisme de ses relations avec son entourage.

C’est le cœur serré que j’ai lu cette très belle histoire.

Les descriptions, tant des lieux de vie que des sentiments, sont très marquantes. Je me suis promenée dans les rues de Pune, sous la chaleur écrasante, j’ai dégusté le thé et les gâteaux interdits à Tara. J’ai observé les scènes de la vie quotidienne dans l’appartement de Tara et dans celui d’Antara et Dilip, les efforts de la jeune femme pour contenir sa peine et quelquefois sa rage.

J’ai ressenti la douleur de la petite fille puis la violence de l’adulte qui s’est construite dans cette quête perpétuelle de l’attention et de l’amour maternels. J’ai aussi envisagé, privilège de lectrice, la place de la mère qui ne souhaitait pas mener son existence ainsi.

Car la mère et la fille ne sont finalement pas si différentes : toutes deux souhaitent échapper à une destinée écrite par d’autres…

A travers l’histoire entre ces deux femmes, Avni Doshi pose un regard acéré sur le conformisme, la maternité, la maladie, les obligations parentales et filiales, quand, au fil du temps, elles s’inversent.

Et l’on comprend fort bien pourquoi ce livre s’est retrouvé finaliste du Booker Prize en 2020.