Il nous restera ça

Virginie Grimaldi

389 pages

Librairie Arthème Fayard, 2022

Fin de lecture 29 août 2022

Quelques jolies citations, que je connaissais et aimais déjà, ouvrent le dernier ouvrage de Virginie Grimaldi.

C’est un prélude à l’une de ces lumineuses histoires dont elle a le secret et que j’avais découvert grâce à l’un de ses précédents livres.

Hasard des rencontres, des êtres écorchés par la vie vont unir leurs blessures et développer un lien fort, un attachement outrepassant l’amitié.

Jeanne, Théo, Iris.

Jeanne, la vieille dame qui a perdu l’amour de sa vie. Son deuil récent occupe Jeanne à plein temps. Mais elle a besoin d’argent pour continuer à entretenir son appartement.

« Depuis trois mois, Jeanne détissait, maille après maille, les habitudes. Le pluriel était devenu singulier. »

Iris, la trentenaire au service des malades, que l’amour de sa vie a fait fuir.

Et Théo, le jeune apprenti pâtissier, criblé de souffrances intimes et seul au monde.

« Je rêve pas, je m’évade. La réalité est ma prison. »

Iris et Theo ont besoin d’un toit. La vieille dame accueille les deux jeunes gens, qui se détestent cordialement au début de cette cohabitation forcée.

Et petit à petit, chacun trouve sa place dans le lieu partagé. Chacun apprend de l’autre et développe de l’empathie. La réserve s’éloigne face à l’adversité.

Les chapitres alternent, Théo et Iris narrant chacun leur propre histoire, tandis que celle de Jeanne est contée. Le texte est émaillé de propos ou remarques savoureuses. La gouaille de Théo m’a fait éclater de rire à plusieurs reprises. Mais j’ai aussi versé quelques larmes au regard des mésaventures individuelles, et de leurs douloureuses expériences.

« Chaque fois que j’ai donné un bout de mon cœur, je l’ai récupéré en sale état. Vaut mieux avoir personne, au moins on ne risque pas de le perdre. »

En croisant ces destinées complexes, Virginie Grimaldi amène le lecteur à envisager différemment les rencontres qu’on croit anodines, celles qui peuvent apporter le bonheur au-delà d’un début peu prometteur.

Certaines réflexions sont ainsi pleines de bon sens :

« Ma mère a toujours préféré les gens avec des failles plutôt que lisses. Elle répétait souvent que deux surfaces lisses glissent l’une contre l’autre, alors que deux surfaces cabossées s’accrochent et deviennent plus solides ensemble. »

L’auteure, au travers de ses personnages tourmentés, met l’accent sur la possibilité de tirer parti de l’adversité lorsqu’on accepte de se lier aux autres et de lâcher prise. Les difficultés inhérentes aux différents âges de la vie y sont évoquées, du jeune homme livré à lui-même mais très courageux, jusqu’à Jeanne septuagénaire et solitaire forcée qui rend visite à son défunt époux pour lui exposer son quotidien. Sans oublier Iris dont le milieu de vie est affecté par une relation toxique dont l’histoire m’a évidemment beaucoup touchée.

La résilience est le maître-mot de ce très joli roman qui oscille entre humour et émotions. C’est délicat, corrosif parfois.

Je me suis laissée porter par les mots, sans chercher à deviner la suite, en prenant mon temps, et j’ai donc été épatée par une fin totalement inattendue !

Un chouette moment de lecture, merci Alex de me l’avoir prêté !

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Requiem des ombres

David Ruiz Martin

384 pages

Taurnada Éditions, mai 2022

Fin de lecture le 3 mai 2022

Je remercie les Éditions Taurnada pour m’avoir adressé cet ouvrage en format numérique dans le cadre d’un service presse.

C’est le deuxième opus de David Ruiz Martin que je lis, après le fabuleux Seule la haine.

Ici, l’on découvre Donovan, un cinquantenaire usé par la vie. Romancier à succès, il est accablé depuis son adolescence par la disparition de son frère Virgile, lors d’une agression commune. En 1973, la brume autour du lac de Neuchâtel était si forte et a duré si longtemps qu’elle a, selon la légende, « rendu les hommes fous ». Et surtout empêché Donovan de distinguer les traits de leur agresseur. L’enfant n’a jamais été retrouvé, et sa mort déclarée au bout du délai légal a conduit à enterrer un cercueil vide. Fi pour le deuil !

La famille et la communauté ne se sont jamais remis de ce fait divers.

Donovan s’est exilé à Paris, a construit sa carrière. Mais à cinquante-six ans, sa volonté de faire la lumière sur la disparition de Virgile reste farouche. Et surtout, depuis la mort de son père honni du faut de son tempérament violent, Donovan a le syndrome de la page blanche. Il sent qu’il doit en finir avec son passé. Alors, sans prévenir personne, le romancier revient sur les lieux sombres de son enfance.

« La maison me paraissait telle que je l’avais quittée trente-huit ans plus tôt. Sa façade hostile trahissait la rancœur et l’air ambiant semblait toujours exhaler des relents de haine. »

Il retrouve des policiers qui ont mené l’enquête à l’époque, sans succès, son meilleur ami Aaron, la douce infirmière qui l’a materné lorsqu’il s’est retrouvé hospitalisé, et fait la connaissance d’une mystérieuse jeune femme, Iris. Détentrice d’un don prémonitoire, Iris fascine Donovan. Elle seule peut l’aider à démêler son passé et peut-être entrevoir l’avenir.

Cependant Iris est profondément affectée par son don : connaître le futur l’attriste, car elle ne peut qu’accepter ce qui arrivera à ceux qu’elle rencontre. Elle ne peut l’influencer.

Si Donovan n’était pas revenu, la vérité n’aurait pas éclaté. Mais cela aurait sans doute évité d’autres morts…

C’est un thriller bien sûr, mais c’est surtout le drame d’une vie et la recherche de la vérité aux moyens peu conventionnels qui sont mis en exergue par l’auteur. Il y dénonce le système judiciaire qui empêche la poursuite des enquêtes et dénie aux familles de disparus la possibilité d’accomplir leur deuil.

« (…) Comment appelez-vous le fait d’obéir à des lois aberrantes au détriment d’un enfant disparu ?

– Un moment d’égarement, dit-il à court d’arguments.

– Alors je dis que vous manquez sacrément de vocabulaire ! »

Cet échange montre également la dose d’humour cynique saupoudré ici et là dans l’ouvrage, sans doute nécessaire pour détendre un peu le lecteur. Car l’ambiance est évidemment très sombre, entre le romancier alcoolique et dépressif et les violences qui l’entourent dès qu’il commence à approcher de la vérité.

Ce que j’ai moins aimé, mais c’est sans doute dû à mon côté pragmatique, est l’aspect un peu fantastique avec le personnage d’Iris et ses visions, qui fascinent tant notre héros. Même si cela ajoute une petite réflexion philosophique sur les conséquences des décisions que chacun prend.

Ce qui se joue, c’est l’emprise de l’être sur sa propre vie, s’il croit au destin : peut-on vraiment changer ce qui a été écrit ?