De bonnes raisons de mourir

Morgan Audic

593 pages

Le Livre de Poche, 2020, Éditions Albin Michel, 2019

Fin de lecture 15 août 2020

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois d’août. Dix-septième et dernier livre lu dans le cadre du jury.

Prix du Jury Polar

Mon premier est un lieu célèbre dévasté par une explosion nucléaire ;

Mon deuxième est un corps atrocement mutilé pendu au sein de cette même zone trente ans plus tard ;

Mon troisième est une affaire de double meurtre non élucidée datant de ladite explosion ;

Mon quatrième est un tueur en série qui sème des oiseaux sur ses scènes de crime ;

Mon cinquième est l’enquête menée par deux policiers Ukrainiens et un policier Russe, avec des motivations différentes, mais le même but ;

Mon tout est un thriller captivant sur fond de dislocation de l’ex-URSS et de guerres fratricides.

En 2016, un corps est retrouvé dans l’enceinte de la zone d’exclusion de Tchernobyl, à Pripiat. Le capitaine Melnyk, intègre au sein d’une police corrompue, est chargé de l’enquête.

Affublé de la jeune Novak, anxieuse en raison des radiations, il explore en parallèle les dessous d’une affaire criminelle datant de l’explosion de la centrale nucléaire en 1986.

« Son père remercia les policiers et leur proposa d’emporter un peu de mouton fraîchement abattu. Melnyik refusa par principe, Novak par peur des radiations. »

Un policier russe, Rybalko, mandaté par le père de la victime pour retrouver le coupable, mène l’enquête à leur insu.

Chaque enquêteur poursuit le même but, mais non les mêmes motivations.

Sur fond des résultantes de la dislocation de l’URSS, de guerres fratricides entre Ukrainiens et Russes, Morgan Audic livre un roman fort documenté : dans cette nouvelle ère, politique, économie, écologie et trafics et corruption font bon ménage !

« Tu es pour le rattachement du Donbass à la Russie ? demanda-t-il à son chauffeur.

Le vieux trafiquant réfléchit un instant, comme s’il ne s’était jamais posé la question auparavant.

– Je suis pour la fin de la guerre, dit-il finalement. C’est tout.

– Mais la fin de la guerre, c’est aussi la fin de ton business.

– Il y en aura d’autres. Il y aura toujours du trafic dans le coin ! s’exclama joyeusement Ossip. »

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En lieu sûr

Ryan Gattis

Traduction Nadège T. Dulot

403 pages

Le Livre de Poche, 2020, Librairie Arthème Fayard, 2019

Fin de lecture 23 juin 2020

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois de juin.

Douzième livre lu dans le cadre du jury.

Dans le Los Angeles post-crise des subprimes, est-il possible de se trouver un lieu sûr, paisible, protecteur ?

C’est la quête de Ricky Mendoza Junior, alias Ghost, mais aussi, sans qu’il s’en doute, de Rudolfo « Rudy » Reyes, alias Glasses.

Tout pourrait opposer les deux hommes : Ghost est un ancien junkie, passé du bon côté puisqu’il travaille pour un serrurier à l’ouverture des coffres-forts découverts par les agences gouvernementales, dont la DEA.

Glasses est à la solde d’un parrain de la drogue, Rooster, qui laisse, comme il se doit, ses lieutenants se salir les mains à sa place.

Mais un concours de circonstances va les mettre en présence : après des années de travail « clean », Ghost a décidé de prendre le contenu d’un coffre pour aider une personne qui lui est chère… mais le contenu de ce coffre appartient à Rooster !

Ghost doit fuir les fédéraux et les malfrats qui en veulent à sa peau. Mais un autre casse l’attend, pour une nouvelle « bonne cause »…

Le lecteur pénètre, via les pensées des deux protagonistes, dans un monde de violence et de peur du lendemain : une fois qu’on a mis le doigt dans l’engrenage de la drogue, il est impossible de s’en sortir, qu’on soit du côté du dealer ou du junkie. Et la passerelle entre les deux est si ténue !

Ghost veut néanmoins s’amender, ses pensées éternellement tournées vers une jeune fille, Rose, qui reste l’amour de sa vie. Alors qu’il entame son retour à la délinquance, les chansons de la cassette audio léguée par Rose le bercent et l’accompagnent.

Cet ouvrage est très particulier, puisqu’il met en présence deux malfaiteurs qui, bien qu’opposés apparemment dans leurs choix, sont à un tournant de leur vie. La violence est contrastée par la douceur des pensées de Ghost pour Rose et de Glasses pour sa femme Leyla et leur fils Felix. Ce qui peut d’ailleurs procurer un certain malaise au lecteur qui pourrait se laisser à un peu d’empathie pour eux…

Sur l’écriture, je n’ai pas trouvé disproportionné le recours à la vulgarité, au regard des personnages mis en scène. J’ai néanmoins regretté à certains endroits quelques redites, mais ne sont-elles pas l’apanage des pensées qui nous traversent lorsque nous somme soucieux ?

Ce polar est particulièrement mélancolique, et si j’ai apprécié cette approche particulière et le traitement des personnages principaux, je n’arrive pas à me décider pour savoir si je l’ai aimé ou non. Je le qualifierais plus volontiers d’expérience de lecture…

Citations

« Les portes blindées, ça sert à rien. Si ça ouvre pas quand ils frappent, c’est là que j’interviens.

Avec une serrure Medeco ou Schlage Primus, t’as probablement une ou deux minutes de plus pour te bouger le cul, détaler par la fenêtre de derrière et te retrouver face à un agent, gun pointé sur ta gueule, prêt à tirer si tu fais le mariole. Ou t’as peut-être un entrebâilleur avec une chaînette, mais vu que les Stups arrivent avec leur bélier, les chaînettes, c’est mignon. »

« J’ai une magnifique rose sur la poitrine, parce que son nom suffisait pas. Un tatouage, c’est comme un fil sous la peau. Ça rend réel l’invisible. Ça capture les rêves, les souhaits et les souvenirs, ça les brode à l’encre sur le corps pour qu’on puisse les emmener partout avec soi et les montrer, mais seulement quand on a envie. »

« C’est possible de nuire à quelqu’un qu’on n’a jamais rencontré, de vraiment lui faire du mal. Le plus gros problème quand tu fermes ta porte à la conscience pendant des années, c’est que, quand elle finit par rentrer, elle réclame tous les intérêts que tu lui dois. Des intérêts féroces. »

« Rose disait que personne n’est protégé dans ce monde. Il n’y a pas de lieu sûr. Jamais. Et quand on croit qu’on est en sécurité, c’est là qu’on l’est pas. C’est une des grandes vérités : tout l’argent que tu touches dans ta vie, c’est qu’un prêt. Tout est risqué. »

Terres fauves

Patrice Gain

255 pages

Éditions Pocket, 2020, Éditions Le mot et le reste, 2018

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois de mai.

Neuvième livre lu dans le cadre du jury.

Fin de lecture 2 mai 2020

Le gouverneur de l’Etat de New York veut écrire ses mémoires. Son éditeur fait appel à David McCae, qui va les rédiger pour lui. Et comme le gouverneur compte parmi ses amis le brillant et renommé alpiniste Dick Carlson, l’éditeur mande à l’écrivain d’aller interviewer ledit alpiniste en Alaska. Mais, arrivé sur place, David surprend par hasard des informations qui peuvent remettre en cause l’écriture du livre, et se retrouve bientôt abandonné, seul au milieu d’une étendue hostile, proie des éléments et des animaux, voire des humains.

David raconte donc son histoire. Homme de la ville, il narre sans concession ses affres à l’idée de se confronter au froid, à l’avion, à la solitude. Obligé d’y faire face en raison des circonstances, l’homme se renouvelle et modifie en profondeur sa personnalité, laissant de côté la lâcheté qu’il désapprouve et se découvrant finalement un certain courage pour affronter ses peurs.

C’est une chasse à l’homme qui est décrite dans ce livre, mais également un road-trip. Patrice Gaine se donne ainsi l’occasion, par le truchement de son personnage, de décrire avec précision les paysages qu’il parcourt, l’écriture est riche, imposant à plusieurs reprises un détour par les pages du dictionnaire…

Un livre qui débute très lentement et pourrait rebuter, dont la tension se fait de plus en plus forte, qui m’a finalement beaucoup plu !

Citations

« À aucun moment il n’a sollicité mon assentiment. Dick Carlson dirigeait tout ce qui tournait autour de lui comme des astéroïdes tombés dans les filets du champ gravitationnel d’un astre. Je n’ai pas du tout aimé ça. » p50

« Mon bras et mon épaule à vif raclaient le sol rocheux. J’étais à bout de force. La douleur me submergeait par vagues. Les flammes montaient haut vers la cime des arbres. Je sentais la résine chaude des épicéas noirs qui offraient leurs branches odorantes comme de l’encens pour ce qui s’annonçait être mes funérailles. Le vent les caressait et faisait danser les volutes de fumée qui s’en échappaient tel un thuriféraire. Sous la voûte de la cathédrale étoilée, je me suis senti oublié des hommes et dans l’effroi du moment, tout comme Lennie, j’ai confié mon âme à Dieu. » p116

Le douzième chapitre

Jérôme Loubry

335 pages

Le Livre de Poche, 2020, Calmann-Levy, 2019

Fin de lecture 15 avril 2020

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois d’avril.

Huitième livre lu dans le cadre du jury.

David est un écrivain reconnu. Son éditeur, Samuel, est un ami d’enfance. Un très bon ami, même.

Car ils ont passé tous les deux leurs vacances dans le centre appartenant à la société qui employait leurs parents.

Jusqu’à la disparition, en 1986, d’une petite fille, Julie, dont ils avaient fait la connaissance sur la plage.

Aux prémices d’un amour d’enfance ont

succédé les regrets. Car nul n’a jamais su ce qu’il était advenu de l’enfant.

Mais trente ans plus tard, David et Samuel reçoivent chacun un manuscrit, relatant leur partie de l’histoire de cette année maudite. Ils essaient de trouver le mystérieux auteur des envois, ainsi que le troisième larron qui semble également être impliqué. Car ils sont identifiés par leur mystérieux expéditeur comme le sourd, le muet et l’aveugle, que les fantômes de leur passé commun viennent hanter.

Cela devient vite une obsession pour David, qui délaisse son travail et sa compagne pour se replonger dans le passé. Il doit se presser, car le dénouement interviendra à la lecture du fameux « douzième chapitre ».

C’est le premier livre de Jérôme Loubry que je lis, et si je conviens que la construction peut être intéressante, j’ai très rapidement trouvé les tenants et aboutissants de l’histoire, qui ne m’a donc plus passionnée. Le début était prometteur, mais comme j’avais deviné la suite, j’ai avancé très vite pour vérifier quelques détails.

Peut-être la faute à de trop nombreuses lectures de polars/thrillers qui me font chercher – et quelquefois trouver – midi à quatorze heures… Cela ne restera donc pas un souvenir impérissable pour moi, mais pourrait intéresser des lecteurs moins « aguerris ».

Sur l’écriture, par contre, j’ai bien aimé le parti pris de l’alternance des passé/présent/manuscrits différents, ainsi que les émotions ressenties par David enfant comme adulte : confronté à un beau-père qu’il déteste, habité d’une peur viscérale engendrée par la tension des aduites craignant de perdre leur emploi, la lumineuse apparition de la petite fille est une parenthèse bienvenue pour le petit David. Et lorsque devenu adulte, il reçoit le manuscrit, toute la protection psychologique qu’il a construite s’envole pour laisser place au stress, à l’angoisse de n’avoir pas pu empêcher la disparition de Julie.

Citations

« Vous allez être trois à recevoir ce récit. Trois personnages qui se sont rendus coupables, bien que de manière différente. »

« Elle se tenait debout, fière et conquérante, défiant leur silence et leur incrédulité, les poings posés sur ses fines hanches. Ses cheveux blonds avaient été rassemblés en une queue-de-cheval qui dévoilait la ligne parfaite de son cou. »

« Tu trouves ça bien, toi, que le fait de lire ces pages me trouble au point de ne plus pouvoir dormir ? Tu trouve ça bien que Sarah soit partie de la maison pour la simple et bonne raison que revivre tout se passé m’empêche d’interagir avec mon présent ? Tu trouves peut-être ça bien que je me torture à essayer de comprendre pourquoi nous avons été incapables de la protéger ? »