Enfant de salaud

Sorj Chalandon

333 pages

Grasset, 2021

Fin de lecture 2 novembre 2021.

Rentrée littéraire

Je n’ai découvert Sorj Chalandon qu’en 2019, avec le très beau Une joie féroce.

Je ne savais donc pas qu’il évoquait à travers ses écrits son père, un menteur qu’il souhaitait voir se démasquer lui-même, avouer ses forfaits.

C’est chose faite dans Enfant de salaud mais par le fils qui énonce enfin tout haut ce qu’il avait compris tout bas.

Cette expression, qu’il doit à son grand-père, le jeune Sorj la fera sienne pour convoquer régulièrement les fantômes de son passé. Et dans ce livre, il remonte aux sources, les siennes et celles de l’Histoire, aux côtés d’un père plus intéressé par le paraître que l’être.

Le fils en prend d’autant plus conscience lorsqu’il doit assister en qualité de journaliste au procès de Klaus Barbie. On est à Lyon, en 1987. Son père souhaite en être également, pour admirer l’homme que tous détestent. Le père est à la parade, comme toujours.

« Il a regardé autour de lui. Toujours, il cherchait à savoir si on le remarquait, entre la crainte d’être écouté et l’espoir secret d’être entendu. »

Sorj n’y tient plus, il doit savoir. Il parvient à obtenir une copie du dossier judiciaire de son père durant la guerre et essaye tant bien que mal d’esquisser son portrait avant de le confondre en face à face.

Or, l’homme que Sorj prenait pour un héros de guerre se transforme à la lecture de ce dossier en aventurier prêt à retourner sa veste en fonction du sens du vent.

« Plus je lisais tes dépositions plus j’en étais convaincu : tu t’étais enivré d’aventures. Sans penser ni à bien ni à mal, sans te savoir traître ou te revendiquer patriote. Tu as enfilé des uniformes comme des costumes de théâtre, t’inventant chaque fois un nouveau personnage, écrivant chaque matin un autre scénario. »

C’est un affabulateur, un enjoliveur de situations qui lui tient lieu de père, un menteur pathologique, d’une mauvaise foi évidente – quand même les dates ne peuvent concorder avec les événements qu’il décrit – et d’une intelligence qui lui permet d’assurer son impunité.

Au prix peut-être d’une petite schizophrénie !

« Le patriote et le traître, sur un même document barré de tricolore. »

En parallèle s’écrivent donc les lignes du procès de Barbie et de celui que tient le fils contre le père. Mais les enjeux sont différents : pour les victimes de Barbie, une reconnaissance des crimes contre l’humanité commis par ce bourreau ; pour le journaliste, détenir enfin la vérité de ce qu’est son père, peu importent ses choix, seul le lien filial est essentiel.

C’est ce qu’attend Sorj, une confrontation pour mettre à plat les mensonges :

« Enfin, tu te serais débarrassé de ces oripeaux militaires et tu aurais endossé un bel habit d’homme. Un costume de père. »

C’est peu dire que j’ai aimé ce roman biographique. J’ai été émue aux larmes par la quête du fils pour rencontrer son « vrai » père. J’ai été profondément touchée par les témoignages dont se fait l’écho l’auteur lorsqu’il retrace le procès du Boucher de Lyon.

Sorj Chalandon a reçu en 1988 le Prix Albert-Londres pour ses chroniques du procès : son style, son écriture, sa manière de traiter l’information dans le livre ne démentent guère cette distinction. D’un côté les notes du procès, de l’autre le regard qu’il porte sur son père. Comme lorsqu’il avait commencé à écrire dans son carnet : les faits d’un côté, les émotions de l’autre… Une prise de recul salutaire, sans doute.

Je regrette cependant que, finaliste du Goncourt 2021, il n’en ait pas obtenu le Prix (sans dénier le lauréat !).

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Une arête dans la gorge

Christophe Royer

384 pages

Taurnada Éditions, mars 2021

Fin de lecture 27 février 2021

Je remercie les Éditions Taurnada de m’avoir adressé cet ouvrage en format numérique dans le cadre d’un service presse.

Je n’avais pas lu le premier opus (Lésions intimes) des aventures de Nathalie Lesage, l’héroïne, mais les quelques détails des premières pages m’ont permis de prendre en route son histoire sans difficulté.

La cammandante Lesage, précédemment affectée à la brigade parisienne de lutte contre le proxénétisme, a ainsi bénéficié d’un congé sabbatique en Irlande après une enquête particulièrement difficile et le décès de son frère. Rentrée en France, et refusant de retrouver son ancien poste, elle est affectée en surnombre au SRPJ de Lyon, en brigade criminelle.

« Même si le métier était diablement dur et souvent humainement insupportable rien ne lui procurait autant d’excitation et de décharges d’adrénaline. (…) Non, ce qu’elle voulait, c’était résoudre des crimes de sang. »

Mal accueillie par sa supérieure la Commissaire Clément, Nathalie est affublée d’un jeune lieutenant, Cyrille, tout juste sorti de l’école de police, dont elle va devoir compléter la formation.

Le jour même de son arrivée, Nathalie enquête avec Cyrille sur le meurtre particulièrement odieux d’un homme retrouvé dans un parc. Puis d’autres meurtres s’enchaînent dont le point commun semble être l’obédience franc-maçonne.

Aidée par Raphaël, un adepte également lieutenant de police en brigade des stupéfiants, Nathalie s’interroge.

« Et si c’était un piège tendu par sa supérieure pour se débarrasser d’elle ? Non. Elle n’était pas retorse au point d’inventer cette histoire de francs-maçons. En tout cas, elle l’espérait. »

Cependant les indices s’accumulent, l’enquête avance rapidement et Nathalie démasque le meurtrier.

Pourtant, il semble qu’une deuxième personne intervient également sur les lieux des crimes, car un indice découvert sur un des cadavres ne peut être rattaché au meurtrier. Pour Nathalie, les recherches continuent, malgré la désapprobation initiale de sa supérieure soumise à des pressions politiques, mais avec le soutien de Raphaël, de Cyrille, et petit à petit, de toute l’équipe, pour démasquer le coupable.

Pour cela, une incursion sous la Croix-Rousse va s’imposer à Nathalie et ses collègues, avec l’aide d’un cataphile chevronné.

J’ai bien aimé l’histoire, qui rappelle par certains côtés certains livres de Giacometti et Ravenne sur les aspects historique et franc-maçon, mais plus axée sur l’enquête en cours.

J’ai été ravie de la plongée dans le vieux Lyon, ses traboules, ses ruelles et ses bouchons, qui a ravivé le souvenir d’un week-end dans la capitale des Gaules.

Et j’ai beaucoup appris sur les catacombes lyonnaises, dont je n’avais pas connaissance.

Je me suis attachée rapidement à Nathalie, tout à la fois force et douleur, à son désir d’avancer malgré ses doutes, et à Cyrille, dont l’appétit insatiable m’a fait sourire plus d’une fois et suscité quelques envies – réprimées car je ne joue pas comme lui au rugby !

L’écriture de Christophe Royer est fluide, concourant à préserver le suspense (j’ai particulièrement apprécié le prologue) et à maintenir en haleine le lecteur. J’ai lu ce livre d’une traite, et suivrai avec plaisir les futures aventures de Nathalie.

Et j’ajoute une mention spéciale pour l’image de couverture que je trouve très réussie !