La commedia des ratés

Première et deuxième parties

Dessin et scénario Olivier Berlion

D’après Tonino Benacquista

74 et 76 pages

Dargaud, 2011

Fin de lecture 12 décembre 2022

Lire Tonino Benacquista, c’est investir un univers de personnages hauts-en-couleurs. Cette adaptation graphique très réussie d’Olivier Berlion en deux volumes n’y fait pas exception.

On entre au sein du foyer banlieusard des parents d’Antonio, jeune homme d’origine italienne, qui a tout fait pour échapper à sa famille, à son quartier d’immigrés et surtout à son grincheux de père, en s’installant à Paris.

Rattrapé par Dario, un ancien camarade, Antonio doit rédiger une lettre d’amour pour une mystérieuse femme. Dario lui confie alors ses projets d’achat d’un terrain vinicole dans le petit village de Sora, ancienne patrie de leurs parents.

Mais Dario se fait assassiner. Même s’ils n’étaient pas vraiment intimes, Antonio décide de mener l’enquête pour savoir qui a décidé ce coup de force. D’autant qu’il est devenu son héritier. Malgré des intimidations, Antonio choisit de suivre la voie de Dario en se rendant en Italie pour inspecter ce fameux terrain.

A Sora, il rencontre un vieil aveugle, une magnifique jeune femme, des mafieux, des villageois hostiles : presque tout le monde veut sa peau… ou son terrain. Ou les deux ! Antonio, lui, veut réaliser le rêve de Dario. Qui finit par devenir le sien.

Mafia, chantage, lutte d’influence, religieux corrompus, tous s’efforcent surtout de gagner de l’argent au détriment des autres. C’est donc assez violent.

L’histoire s’écrit dans les bulles comme dans les dessins : Antoine se raconte et parle fréquemment à son ami Dario comme si ce dernier était toujours vivant.

En filigrane, la Grande Histoire, celle de l’Italie au cours de la Seconde Guerre Mondiale, rejoint le destin d’Antoine. Il évoque les souvenirs racontés par son père, illustrés en sépia, plus finement que le reste des dessins des albums.

« La mémoire de tous les départs que je n’ai pas vécus remonte en moi. A commencer par celui de mon parernel… »

Tout au long, la variation du nombre et de la taille des vignettes dans les planches, ainsi que les nombreux gros plans des visages, accentuent le rythme impulsé par le scénario.

J’ai beaucoup aimé.

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Pour lire mon avis sur un autre roman graphique, scénarisé par Tonino Benacquista lui-même, cliquer sur le bouton ci-dessous

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Heresix

Nicolas Feuz

285 pages

Slatkine et Cie, 2021

Fin de lecture 4 juin 2021.

Je remercie les Éditions Slatkine & Cie pour m’avoir adressé cet ouvrage dans lequel Nicolas Feuz délaisse son personnage fétiche Jemsen.

Mais où donc le procureur-auteur va-t-il chercher son inspiration ?

Ce livre m’a retournée ! L’esprit, le cœur et les boyaux… (âmes sensibles, tenez-vous-en éloignées !)

Les premiers chapitres narrent des événements apparemment sans lien : une procession de six hommes mutilés et un meurtre, un incendie, l’enlèvement d’une petite fille, une nuit particulière pour une jeune fille, un récit historique sur les croisés contre les cathares.

Une lettre anonyme a indiqué au capitaine Roustan que son auteur mènerait une guerre sans merci contre la mafia du sexe, au même titre que l’église avait en son temps massacré les cathares honnis par elle. A l’instar d’un chevalier conquérant, le meurtrier souhaite éradiquer la corruption gangrenant les milieux institutionnels et des affaires sous le chaud soleil de l’Hérault.

Le capitaine du SRPJ de Montpellier et les gendarmes Amélie Gasquet et Solange Darrieusecq, de la brigade de recherches de Béziers, doivent donc mener conjointement l’enquête sur l’incendie d’un établissement de rencontres sulfureuses dans cette ville. En effet, il appartenait à un caïd du sexe, le Toulousain, et était géré par son bras droit Valadié, qui vient d’être retrouvé mort.

Une professeure d’universalité, experte dans le catharisme, va aider les enquêteurs à décrypter les similitudes entre le modus operandi du tueur et les guerres cathares.

Les attaques contre les mafieux se poursuivent, tandis qu’en parallèle plusieurs hommes disparaissent.

C’est très violent : meurtres, abus sexuels, système mafieux, vengeance… les événements et les époques se croisent, se distendent, se recroisent, sous la plume cruelle de Nicolas Feuz.

Impossible de lâcher ce livre qui, sous couvert d’une enquête policière, dénonce aussi les violences faites aux femmes. Sur un rythme haletant, on s’attache rapidement aux trois enquêteurs tout en vomissant les activités des malfrats qu’ils combattent. Ceux-ci sont dépeints dans toute leur gloire décadente, où seuls le profit et la jouissance aux dépends des autres prévalent.

L’intrigue, basée sur un fond historique enrichissant, est d’un très haut niveau, j’ai été totalement bluffée ! Et la fin est absolument terrible… j’en suis restée interdite pendant quelques instants.

Coup de cœur pour un polar trash, très documenté, magistralement orchestré !

L’été froid

Gianrico Carofiglio

Traduction d’Elsa Damien

459 pages

Éditions Slatkine &Cie, 2021

Fin de lecture 13 mai 2021.

Je remercie les Éditions Slatkine & Cie de m’avoir adressé cet ouvrage de l’auteur dont j’avais tant aimé l’an passé le précédent roman,Trois heures du matin, mettant en avant la relation d’un père et de son fils.

Dans L’été froid, la thématique est toute autre. Il y est bien question d’un enfant, mais l’action se situe en 1992, en pleine guerre ouverte entre la mafia et les juges décidés à mettre fin à ses activités un peu partout en Italie et en Sicile. Or l’enfant est le fils de Grimaldi, un parrain de la mafia de Bari, La Società Nostra, qui pourrait avoir été enlevé par son ancien associé, un certain Lopez, dit « Le Boucher ».

Les carabiniers, et en première ligne le maréchal Fenoglio, essayent de décortiquer une histoire compliquée en raison de la loi du silence imposée par les principes mafieux, la fameuse omerta : des fusillades éclatent en pleine rue, aucun témoin. La famille même de l’enfant refuse d’expliquer les circonstances de l’enlèvement, voire nie celui-ci.

Mais Lopez contacte les carabiniers et décide de collaborer. Cependant, ses dires sont-ils crédibles ? Car c’est avant tout un personnage peu recommandable :

« Son casier judiciaire ressemblait à un résumé de droit pénal : on allait du vol à la conduite sans permis, du trafic de stupéfiants aux coups et blessures, et de la contrebande de tabac étranger à l’extorsion. »

Dans ce climat de suspicion et de violence ouverte ou larvée, sous la menace permanente des représailles du clan Grimaldi, la juge D’Angelo, le capitaine Valente, le maréchal Fenoglio et l’adjudant Pellecchia mènent l’opération « Été froid ».

L’écriture de Gianrico Carofiglio entraîne immédiatement le lecteur dans les rues de Bari, dans la petite trattoria et dans les locaux exigus de la caserne : on ne lit pas, on vit les événements.

« La pièce puait l’encre et le papier poussiéreux. Le silence accentuait les odeurs, pour qui savait les percevoir. »

C’est un film qui se déroule devant nos yeux, les perquisitions en pleine nuit pour se cacher des malfrats, les interrogatoires qui mettent en lumière la construction d’une société mafieuse, les enrôlements et agissements pour contrôler un territoire, et où l’on se rend compte que le fameux « honneur » ou « respect » dû au chef de bande lui vient surtout de la peur qu’inspirent son ego démesuré ou sa paranoïa !

Et puis il y a ceux qui refusent de se soumettre à la mafia, mais qui organisent leur propre petit trafic : « Si tu commences à payer, tu es mort. »

Un attachement tout particulier se crée pour Fenoglio, qui traverse une mauvaise passe personnelle et consacre donc son temps à son métier. Car c’est un homme qui s’interroge (in petto, ses réflexions sont savoureuses) sur toute cette violence qui l’entoure, qui répugne à prendre son pistolet et encore plus à l’utiliser. Qui s’évertue à rester honnête, fidèle à ses valeurs, dans un monde qui n’en a plus beaucoup.

« Dans une enquête, on suit différents types de règles. Il y a les règles juridiques, celles qui régissent les techniques d’investigation, et celles dictées par les circonstances. Cependant, les plus importantes, ce sont celles qui ont à voir avec la conscience – ce qui, finalement, vaut pour n’importe quelle activité. »

L’auteur démontre aussi dans ce roman ce qu’il a mis en application dans son travail au service de la justice, et expose le questionnement obligatoire face à une situation qui pourrait sembler se résoudre facilement :

« – Les faits sont presque toujours conformes aux statistiques, et il ne faut pas l’oublier.

⁃ Oui, presque toujours. Ça non plus, il ne faut pas l’oublier. »

C’est haletant, et en même tant les pointes d’humour distillées ça et là offrent une certaine respiration dans ce climat pesant.

« – Ce n’est pas toi qui disais qu’il fallait du détachement, dans ce travail, pour ne pas devenir fou ?

– Oui, c’était moi. La cohérence ne fait pas partie de mes qualités. »

S’appuyant sur son expérience judiciaire anti-mafia, Gianrico Carofiglio expose au grand jour les procédés des sociétés mafieuses au début des années 1990, gangrenant toutes les strates de la société italienne. Au travers de son héros intègre et d’une juge implacable, il met à l’honneur ceux qui, dans la vie réelle, ont su combattre ces malfrats, parfois au péril de leur vie.

L’histoire policière, l’apport de connaissances et la richesse de l’écriture m’ont à nouveau transportée.

Coup de cœur !

Manhattan Trafic

Qui pourrait imaginer les trésors que recèlent nos poubelles ? © CF 5/04/2021

Lawrence Sanders

185 pages

Le Livre de Poche, 1993, Albin Michel,1991

Fin de lecture 1/04/2021

Ce livre chiné en ressourcerie est le premier que je lis de cet auteur qui met en scène un détective privé spécialisé dans les arnaques financières.

Sally Steiner aime son père. Ce qu’elle déteste, c’est l’emprise de la mafia sur l’entreprise familiale de ramassage de déchets. Parce que, à New-York, c’est la mafia qui gère la répartition des quartiers, et que chaque entreprise « autorisée » à travailler doit verser son écot.

« Les bénéfices dépassent ceux de la période correspondante de l’année précédente. Mais pas suffisamment. Le tribut payé aux rapaces pour avoir le droit de ramasser les ordures constitue une hémorragie continuelle. Allez poursuivre en justice l’hôtel de ville. »

Alors Sally imagine un plan qui lui permettra de gagner suffisamment d’argent pour se débarrasser de la main-mise du parrain Vic Angelo. Mais il lui faut être très discrète. Or la mafia exige très vite de prendre le contrôle de sa société…

Timothy Cole est enquêteur pour Haldering and Co, société spécialisée dans le conseil en renseignement dans les affaires financières. Sa chef, la très respectable Samantha, est également sa maîtresse. En toute confidentialité, et sans excès de sentiments, bien sûr. Cole ne respecte pas vraiment les horaires ni les codes. Lui n’a pas de grandes ambitions. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est manger et parler à son chat Cleo.

« De plus, à quoi ça sert d’être riche ? Pour le moment il a un boulot, un endroit pour dormir, un chat gâté et assez d’argent de poche pour se payer de la bière et du jambon. Il a même Samantha–en quelque sorte. Que pourrait vouloir de plus un gosse quand il grandit ? »

Mais Cole est très bon dans son métier, et à force d’expérience, détient un carnet d’adresse bien rempli qui lui sert à avancer dans ses enquêtes.

Il va en avoir besoin pour celle-ci en particulier.

Car sa compagnie est amenée à enquêter sur ce qui s’apparente très probablement à un délit d’initié : des titres d’une entreprise en cours de rachat ont fait l’objet d’acquisitions depuis peu. La banque chargée de la fusion a donc fait appel à Haldering. Cole intervient en qualité notamment de consultant pour vérifier les conditions de circulation et de confidentialité des informations dans l’entreprise et conseiller sur le moyen de sécuriser les transactions.

Mais très vite, un contact de la Commission des valeurs et des titres (SEC) informe Cole que d’autres entreprises sont dans le même cas. Et que parmi les acheteurs d’actions figure une certaine Sally Steiner. Ce qui amène Cole à regarder de plus près les activités d’une entreprise de ramassage de déchets, la Steiner Waste Control.

Ce n’est pas un grand roman, mais j’ai passé un bon moment avec des personnages très caricaturaux qui m’ont rappelé les films des années 50 : le privé, le mafieux et la jeune fille en détresse. Sauf que les rôles peuvent évoluer au fil du temps… pour le plus grand plaisir du lecteur ! Je me suis amusée, et n’ai, je pense, jamais autant mangé avec un personnage !!! Je vais aller reprendre un peu de bicarbonate, et si l’occasion m’en ai donnée, je chinerai bien une autre aventure du détective Cole.