Memory

Arnaud Delalande

317 pages

Pocket, 2022, le cherche midi, 2021

Fin de lecture 13 juillet 2022.

Je remercie les Éditions Pocket pour la rencontre avec l’auteur dans le cadre d’un apéro « Gang du polar ». Ce livre a été sélectionné par les libraires pour être finaliste du prix « Nouvelles Voix du Polar » 2022.

En pleine tempête de neige du côté d’Annecy, une énigme en chambre close : Marcus s’est pendu dans une pièce fermée avec huit témoins. Précision utile : ils sont tous patients d’un institut qui les accueille car ils ont perdu leur mémoire immédiate (amnésie antérograde) suite à un événement exceptionnel : accident ou problème de santé.

La toute fraîchement nommée lieutenant Jeanne Ricœur est gâtée pour sa première enquête !

« Davy, si j’ai bien compris, ces patients oublient tout, toutes les cinq minutes. Comme les poissons rouges ! Alors dis-moi : quelqu’un dont la mémoire s’effrite chaque seconde peut-il vraiment préméditer – ou « postméditer » – quoi que ce soit ? »

Mener des investigations face à des suspects affectés par ce trouble s’avère très éprouvant nerveusement pour la jeune femme, qui affronte par ailleurs des difficultés personnelles liées à son passé. Il va lui falloir de la persévérance et se retrouver bloquée au sein même d’Harmonia pour démêler les fils de cette histoire. Secondée par son collègue Davy et soutenue par son chef Franck, elle doit se montrer à la hauteur de ses propres attentes.

Les processus mémoriels sont au cœur du roman, très bien documenté sur le sujet. L’auteur évoque les différents types de souvenirs que nous pouvons engranger, les besoins et enjeux thérapeutiques adaptés à chaque maladie en particulier. Une amnésie antérograde n’a rien à voir avec la maladie d’Alzheimer, par exemple.

L’écriture est fluide, agréable à lire et le sujet donne envie de poursuivre sa lecture très vite. Le personnage de Jeanne est attachant, la complexité de sa situation personnelle ajoute une autre dimension sur la gestion d’un passé non maîtrisé.

On reconnaît aussi la patte du scénariste dans les descriptions des lieux, il est aisé de se projeter dans l’institut, dans l’appartement de Jeanne et au commissariat.

Le fond de ce livre résonne comme en écho à mes recherches de littérature scientifique sur les capacités du cerveau à associer les données, et j’ai trouvé passionnant de m’y replonger, après quelques années, grâce à un roman policier très prenant.

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Le Premier Homme du monde

Raphaël Alix

192 pages

Les Avrils, Groupe Delcourt, 3 février 2021

Fin de lecture 28 janvier 2021.

Je remercie Les Avrils de m’avoir adressé le premier roman de Raphaël Alix, psychologue-psychalyste qui révèle un talent d’écrivain philosophe.

Aimez-vous le tango ? Le dansez-vous ?

S’il est une danse qui célèbre le genre et accentue les différences, c’est bien le tango. Sur ses quatre temps, l’homme, viril évidemment, guide la femme. Celle-ci ne peut que se laisser aller entre les mains fermes de son partenaire, prônant sa douce féminité.

C’est ainsi que Marcus et Rose vivent leur couple, au gré des soirées de danse dans les alvéoles des quais de Seine. Même si Marcus s’avère surtout être un rêveur et que Rose a un caractère bien trempé.

Fin du premier acte, un rien onirique à la façon de Mathias Malzieu.

Le rideau s’ouvre ensuite sur une demande incongrue de Rose : elle veut un enfant. Marcus serait bien resté dans son pas de deux avec Rose, par amour pour elle, il accède malgré tout à sa requête : ils seront donc bientôt trois. Mais si Rose a su amadouer Marcus, son corps à elle la trahit. Et tandis que Rose se morfond sur son infertilité, Marcus développe des symptômes gravidiques… Impossible. Oui, c’est aussi ce qu’en pensent les médecins. Inadmissible. Oui, c’est aussi ce qu’en disent les défenseurs de la virilité.

Qu’est-ce qui fait de l’être humain un homme ou une femme ? Les injonctions sociétales tendent à nous répartir dans des cases dont nous sommes invités à ne pas sortir : les garçons sont virils, les filles sont douces.

Oui mais. Que se passe-t-il lorsque, sans l’avoir voulu, un homme fait l’expérience la plus féminine qui soit, celle de la maternité ?

Qui plus est quand cet homme est un danseur de tango émérite, affublé de la panoplie caricaturale : moustache, cambrure et main ferme pour guider sa partenaire de danse et de vie.

Les pensées de Marcus fluctuent, évoluent au gré de la transformation de son corps qu’il explore d’abord avec incrédulité, angoisse, puis satisfaction : un corps aux attributs bien masculins, qui recèle malgré tout un être en devenir.

Raphaël Alix entraîne le lecteur dans un roman tendre et joyeux – je l’ai lu avec le sourire tout du long, et quelques francs éclats de rire – autour d’un sujet hautement controversé : le genre. Et j’ai adoré la façon dont il est traité, dans cette construction en deux parties : dans la première, Marcus décrit sa vie réglée comme un tango auprès de Rose, avec chaque rôle bien défini ; dans la seconde, Marcus mûrit et redéfinit sa vision de sa masculinité et du rôle qu’il va devoir jouer auprès de son enfant.

Si vous avez envie d’explorer la maternité, la paternité, la parentalité, les différences de traitement imposées aux genres féminin et masculin, sans vous prendre la tête, avec légèreté, lâchez tout et lisez ce livre !

Un énorme coup de cœur.

« Fille, garçon, chacun est sommé de jouer sa partition. Chacun se plie à son rôle, chacun se voit réduit, cloué à son genre. Voici le canevas, débrouillez-vous comme vous voudrez : un homme, ça se conjugue au verbe avoir (…). Une femme, ça se conjugue au verbe être (…). »