Sans passer par la case départ

Camilla Läckberg

Traduction de Susanne Juul

100 pages

Actes Sud, 2021

Fin de lecture le 15 janvier 2022.

Hop, un petit Läckberg entre deux lectures un peu plus longues (pendant une autre lecture en fait !)…

C’est une novella que j’ai pris plaisir à lire.

L’auteure suédoise nous emmène dans un quartier huppé de Stockholm, un 31 décembre, nuit de réveillon du Nouvel An.

Quatre jeunes fêtent le réveillon dans une des maisons, tandis que leurs parents respectifs sont réunis dans la maison voisine.

Liv, Max, Martina et Anton sont amis d’enfance. Meilleurs amis. Pourtant, chacun cache un secret et observe amèrement les adultes évoluer à travers les fenêtres de la maison. Et chacun participe à cette soirée sans en avoir vraiment envie, juste pour sauver les apparences. Car l’argent n’achète ni le bonheur ni la sincérité.

« Mentir lui vient facilement depuis quelques temps. »

« Le pire, c’est qu’elle n’avait personne avec qui parler. (…) Et pas avec ses meilleurs amis. Qu’en penseraient-ils ? »

L’apparence s’avère cependant être un leurre. En effet, en cette soirée particulière, désœuvrement et alcool concourent à lancer les quatre amis sur une partie de Monopoly aux règles dangereuses : le joueur qui tombe sur une case déjà achetée devra choisir entre « action » ou « vérité ». Violence et sexe sont majoritairement au cœur de leurs préoccupations. Jusqu’à ce que les masques tombent et les dégrisent : les adultes de la maison d’à-côté en prennent alors pour leur grade !

« Je ne supporte pas l’idée qu’un jour je serai comme lui. Il ne fait que mentir à tout bout de champ.

⁃ Ils sont tous comme ça.

⁃ Qu’est-ce que tu veux dire ?

⁃ Ils mentent. Font semblant que tout va pour le mieux, tout le temps. Mais c’est le contraire. Rien ne va. »

Alors les vérités peuvent s’avérer étouffantes ou libératrices, les actions qui en découlent, salvatrices…

Cent pages, quatre parties, un chapitre par jeune dans chaque partie. Par les yeux de chacun se dessine son histoire individuelle et celle de leur relation commune, pleine de duperie honteuse.

J’avais deviné quelle serait le dénouement dès le quatrième chapitre, mais n’avait pas tous les éléments pour en déterminer les raisons.

Le style est évidemment très efficace, le lecteur est placé un peu comme une caméra de surveillance au sein de la maison, regardant et écoutant les échanges et réactions de ces jeunes désemparés. La période de réjouissances rend la situation paradoxale et assez triste, et le lecteur ne peut que compatir avec Liv, Max, Martina et Anton.

Et comme pour le précédent opus de Camilla Läckberg Femmes sans merci penser, de façon amorale et illégale, que ces enfants perdus ont probablement trouvé la seule solution envisageable…

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Dompteur d’anges

Claire Favan

438 pages

Pocket, 2018, Éditions Robert Laffont, 2017

Fin de lecture 14 avril 2021

Quand on rencontre Madame Favan, c’est madame tout-le-monde qui vous parle de son enfant, de sa vie, de la façon dont elle travaille. Elle est douce et on aime l’écouter.

Quand on lit ses livres, on se demande qui a tenu la plume ou quels sont ces doigts qui ont tapé des phrases traduisant une construction d’histoire aussi terrible !

Max est un pauvre jeune homme qui n’a jamais fait de mal à personne, mais parce qu’il s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, parce qu’il n’a pas le bon profil ni les bons appuis, il est le désigné d’office dans le viol et le meurtre d’un jeune enfant, son ami, qui le suivait comme son ombre.

Max devient donc le souffre-douleur de ses codétenus, des surveillants pénitentiaires, comme cela prévaut pour les agresseurs de ce type dans l’univers carcéral. Sauf que Max est innocent. Et que son innocence est reconnue au bout de cinq ans, lorsque le vrai coupable est démasqué.

Mais l’expérience vécue par Max a totalement transformé le gentil jeune homme. Animé d’une froide colère, il va mettre tout en œuvre pour assouvir sa vengeance : juge, avocat, jury, matons, tous ceux qui sont concernés de près ou de loin par l’affaire vont subir l’enfer.

Max a concocté un plan, enlevant les enfants de ceux qui l’ont malmené, leur infligeant une éducation où les coups et les humiliations cassent leur personnalité, et en les entraînant aux pires méfaits. On suit plus particulièrement Cameron, le premier enfant enlevé, car c’est lui qui va vivre le plus auprès de Max.

« Ses journées s’écoulent quasiment toutes de la même façon entre les séances de dressage, crever la dalle, les coups, et les leçons. »

Trois enfants deviennent les réceptacles des théories fumeuses de Max, ils sont constamment dans la lutte pour le pire pour obtenir l’approbation de leur père de substitution.

« Il ne parvient pas à penser autrement qu’en avantage personnel, ni à ressentir de pitié pour celui qu’il a contribué à capturer. »

La peur, la soumission, la souffrance sont les seules composantes de leur vie, celles qu’ils subissent, celles qu’ils font aussi subir à d’autres, pour abreuver la soif de vengeance de Max. A travers les Etats-Unis, dressés pour voler, tuer, et démontrer qu’aucune justice n’existe, les « anges » de Max portent le malheur, tant à des innocents qu’à des malfrats.

« Ce soir, ils vont tuer un homme.

Il ne s’agit plus de coller une baffe à des gens terrorisés pour leur piquer du fric, de voler à l’étalage sans se faire voir, de cambrioler des maisons vides ou de pousser une femme à peine sortie du sommeil dans son escalier pour qu’elle se brise les os. »

Et l’adolescence survient, qui exacerbe les rivalités entre les jeunes gens.

Où est la conscience morale ? Où est la vraie justice ? Qui est le coupable : celui qui commet l’acte ou celui qui a concocté l’éducation d’une manière sectaire, annihilant toute autre forme de pensée ? Comment se sortir de telles situations ? Et que faire d’une telle éducation quand on devient adulte ?

C’est un livre terrible, haletant, où le talent de Claire Favan amène à s’interroger qur notre propre référentiel de valeurs. En effet, on se prend à vouloir sauver ces enfants, à ne pas les laisser perdurer bien évidemment leur périple meurtrier, mais sans pour autant qu’ils soient démasqués malgré leurs horribles méfaits.

On croit en voir fini avec l’horreur, et au détour d’une page, l’autrice nous y replonge savamment.

Un excellent thriller !

Max

Sarah Cohen-Scali

478 pages

Éditions Gallimard Jeunesse, 2015

Fin de lecture 30 novembre 2020.

Vous aimez les bébés ? Alors venez, approchez-vous du berceau. Vous y trouverez un garçon magnifique, blond, aux grands yeux bleus qui vous donneront l’impression qu’ils lisent en vous.

Peut-être reculerez-vous alors. Et vous ferez bien. Car vous venez d’entrer dans une des pires expérimentations lancées par le régime nazi : le programme Lebensborn.

Mais l’intérêt de Max, c’est que vous y entrerez de l’intérieur, vous découvrirez, dans les pensées et les gestes de cet enfant conçu et formaté pour faire partie des meilleurs éléments des Jeunesses hitlériennes, l’horreur des viols d’Etat, des enfants arrachés à leur famille, des pensionnats créés à la gloire du dictateur.

Dans ce roman extrêmement documenté, qui est le premier opus d’une trilogie, Sarah Cohen-Scali entraîne le lecteur dans une histoire monstrueuse, dans un thriller d’autant plus odieux qu’il est le reflet de la réalité vécue par des milliers d’enfants (et leur famille) avant et pendant la Seconde Guerre Mondiale.

« Il faut profiter des hommes, tant qu’ils sont vivants. Beaucoup vont mourir au champ d’honneur. Les naissances diminueront. Or l’Allemagne ne doit pas être un peuple de vieillards. Il faut y veiller ! À l’avance ! D’où notre programmation. »

De 1936 à 1945, c’est avec surprise tout d’abord, puis le coeur au bord des lèvres qu’on suit le cheminement de l’enfant-narrateur qui se sait destiné à une grande – sinon noble – cause. Tour à tour s’affrontent dégoût et compassion pour la personne de ce petit être qui n’a rien demandé, même pas à vivre, et qui va participer, vaillamment, aux rafles d’enfants pour contribuer au projet sordide du Troisième Reich. Mais on entrevoit quelques lueurs d’espoir et de bienveillance au milieu de la violence, de la haine et de la colère. Le jeune d’apparence insensible est malgré tout un humain qui se protège, et qui va, dans ce monde où seuls les plus aptes – ou les plus roublards – survivent, protéger un autre que lui.

« Copier est un déshonneur (à l’inverse de la délation et de l’espionnage, considérés comme des valeurs fondamentales). »

Âmes sensibles, abstenez-vous donc de vous approcher du berceau ! C’est dur, c’est cru, c’est noir comme la nuit qui enveloppa cette époque…

J’ai eu un énorme coup de cœur pour ce roman historique à lire absolument : pour s’instruire, pour s’interroger, pour découvrir le fabuleux talent de conteuse de Sarah Cohen-Scali.

Et pour en apprendre plus sur la suite de cette page sombre de l’histoire contemporaine, il faut lire Orphelins 88 le deuxième opus de la trilogie.

Les Aventuriers de l’Autre Monde

Luca Di Fulvio

222 pages

Slatkine & Cie, 8 octobre 2020

Fin de lecture 11 octobre 2020

Je remercie les Éditions Slatkine et Cie pour m’avoir adressé ce livre dans le cadre d’un service presse.

Pour avoir rencontré Luca Di Fulvio, son enthousiasme et sa verve, l’an passé dans les locaux de son éditeur parisien, je peux sans peine l’imaginer au chevet des enfants en tant que conteur.

Et c’est sa voix que j’ai entendue tout au long de la lecture de ce roman destiné à la jeunesse. Cet ouvrage lui ressemble : on y retrouve la finesse de son écriture, les ressorts de l’histoire pour lutter contre les injustices, les merveilleuses aventures qui entraînent le lecteur loin de la grisaille du quotidien.

Dès les premières pages, ce roman vous happe. Hors les aventures des trois jeunes protagonistes Lily, Red et Max, le narrateur s’invite et ponctue le récit de petits commentaires qui soulignent le défaut de l’un, les qualités de l’autre, une situation particulière. Comme s’il susurrait à votre oreille cette jolie histoire d’amitié mise à l’épreuve par de sombres individus : il est interdit de s’aventurer dans cette partie de la baie où les enfants passent leurs week-ends, en raison de craintes ancestrales. Mais que serait un livre d’aventures sans cette petite désobéissance qui projette nos jeunes héros dans un mystérieux monde où tout est inversé ? Sous l’œil vigilant d’un curieux goéland, les enfants relèvent le défi et s’embarquent sur le bateau qui les conduit vers un destin dangereux, à la recherche d’un mystérieux trésor.

La langue est riche et soutenue (sauf pour les mots de Max !), et amènera probablement les jeunes lecteurs à consulter un dictionnaire, en sus du glossaire consacré en fin d’ouvrage au vocabulaire de la navigation.

L’auteur se fait également illustrateur – la couverture étant réalisée par lui – et la première lettre qui commence chaque chapitre est stylisée avec quelques éléments délicats se rapportant principalement à la mer : quelques oiseaux, des coquillages, un phare, … Cela concourt à emporter le lecteur dans le monde concocté par le génial écrivain du Gang des rêves et des Prisonniers de la Liberté.

Puisse ce joli ouvrage donner envie aux jeunes de se tourner ensuite vers les ouvrages plus destinés aux adultes !

Citations

« Liés par une relation rare, intense et profonde, ils formaient un trio uni, complémentaire. Chacun excellait en quelque chose et, quand l’un des trois n’arrivait pas à le faire, il pouvait toujours compter sur l’aide des deux autres. »

« On aurait dit que tout était identique à leur ancien monde rassurant, mais très vite on se rendait compte que rien n’était pareil. »