Une vérité changeante

Gianrico Carofiglio

157 pages

Slatkine et Cie, 2022

Fin de lecture 16 octobre 2022

Je remercie les éditions Slatkine et Cie pour m’avoir permis de découvrir ce deuxième volet des enquêtes du Maréchal Pietro Fenoglio.

J’avais beaucoup aimé le précédent L’été froid, dans lequel on faisait connaissance de ce policier humaniste.

Dans ce nouvel opus, Fenoglio doit résoudre le meurtre apparemment simple d’un homme dans son appartement.

Un garçon est en effet vite appréhendé sur le témoignage d’une voisine. Le mort était un homme vil. Et le jeune suspect a avoué. Fin de l’histoire ?

C’est méconnaître Fenoglio. Car durant la perquisition de l’appartement, quelque chose l’a alerté, son inconscient l’a enregistré, mais il n’arrive pas à savoir de quoi il s’agit.

Alors il va s’acharner, reprendre l’enquête à zéro, interroger tous ceux qui ne l’ont pas été, refaire le parcours du suspect depuis la scène de crime.

Pour enfin faire éclore la vérité. Et partager son expérience avec son jeune collègue l’aspirant Montemurro.

Ce livre est une petite leçon de conduite d’enquête par Fenoglio : se fier à son intuition, faire fi des apparences.

Le flair du détective est aussi important que sa maîtrise des procédures, il ne doit pas s’arrêter à ce qu’on lui dit ou à ce qui semble être.

« Il faut bien faire fonctionner ses sens. Tous. Regarder, écouter, toucher, renifler aussi. Prendre note. Et si tu es un bleu, il faut savoir quand parler et quand se taire. »

Dans ce livre à l’histoire initiale moins complexe que le précédent, l’auteur rend un hommage appuyé à tous les policiers désireux de s’attacher « avec l’obstination et la patience » à démontrer, preuve par preuve, la culpabilité ou l’innocence d’un suspect. Et les réflexions pleines d’humour des divers intervenants sont un délice supplémentaire.

« – Pourquoi pensez-vous qu’il s’agit d’un homicide ?

⁃ Maréchal, l’individu a la gorge tranchée, il y a du sang partout.

En effet, la gorge tranchée était un indice acceptable pour un homicide, pensa Fenoglio. »

J’ai une fois de plus beaucoup aimé l’écriture et la notion de transmission d’un homme expérimenté à son jeune collègue.

Hâte de lire le prochain !

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Cliquer sur le bouton ci-dessous pour lire la chronique de L’été froid.

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Double exposition

Paul François Husson

151 pages

Auto édition, 2022

Fin de lecture 3 décembre 2022

J’ai découvert – et apprécié – les ouvrages de Paul François Husson il y a quelques années (voir en fin de chronique).

Aujourd’hui, je remercie l’auteur pour m’avoir adressé ce court roman dans le cadre d’un service presse, version réécrite en préalable à la publication prochaine d’un deuxième opus des enquêtes du commissaire Tourette. La couverture est superbe !

Lorsque le roman débute, le commissaire lyonnais Tourette prend sa retraite. Peu enclin à savourer un repos bien mérité en s’adonnant aux plaisirs pêcheurs, le vieil homme arpente les brocantes à la recherche de vieux appareils photographiques. Et lorsqu’il découvre, à l’intérieur d’une antique boîte de chocolat en poudre, des photos de ce qui semble être un meurtre, l’ex policier se sent revivre. Il mène l’enquête, aidé dans la reconstitution des faits par sa femme de ménage, Mme Rybak, et quelques relations qu’il a gardées au commissariat de la Croix-Rousse.

Ce vieux bougon de commissaire, surnommé Tourette au regard de ce syndrome qu’il ne contrecarre pas toujours, est assez attachant dans son envie de redonner du sens à son existence. Un peu naïf aussi, de vouloir mener en solo – ou presque – une enquête qui pourrait bien le mettre en danger.

Au-delà de l’histoire, les descriptions sont tout à fait photographiques, et font le lien avec la passion du héros. On cherche la vérité avec lui à travers la brume qui entoure un lac d’où s’envole un mystérieux héron… et on sourit face à son langage fleuri malgré lui.

La construction du roman permet toutes les interrogations, et comme à son habitude, l’auteur maintient le suspense jusqu’aux dernières lignes pour le plus grand plaisir du lecteur.

J’ai hâte de retrouver le commissaire Tourette dans ses nouvelles aventures !

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Pour découvrir mes chroniques des précédents livres de Paul F. Husson, cliquer sur les boutons ci-dessous :

La Faussaire

Patricia Delahaie

366 pages

Belfond, 2022

Fin de lecture 6 juillet 2022.

J’avais vu cet ouvrage sur un présentoir au Festival du livre Paris, mais Patricia Delahaie était en pause. Je la remercie sincèrement pour sa gentille dédicace et l’éditeur Belfond (merci V. Maréchal) pour me l’avoir adressé quelques temps après.

Paul est médecin. Un physique insignifiant. Marié, deux enfants. Une vie sage et tranquille, dévouée. Une vie qui lui semble un peu morne quand il voit Camille.

Car Camille est lumineuse. Mariée, une fille, Céleste.

Elle va prendre Paul dans ses filets, insidieusement, et ne plus jamais le lâcher.

La Faussaire, c’est donc un fait divers (la base est réelle) qu’on pourrait lire dans un encart de journal. Mais c’est surtout l’histoire d’une machination pensée, voulue, d’une manipulation extrême qui conduit irrémédiablement au meurtre.

J’ai aimé lire cet ouvrage car pour une fois c’est une femme la coupable manipulatrice. Certes, l’homme s’est montré faible, mais Camille est surtout une menteuse patentée, déterminée à arriver à ses fins en menant son amant par le bout du nez.

Le lecteur sait dès le début qu’il y a mort d’homme, qui est la victime, et devine le potentiel coupable. L’objet du livre n’est donc pas de chercher le coupable, mais plutôt de déterminer les degrés de culpabilité, comme le montrera le procès des amants terribles. Et tout ce qui est relaté avant concourt à donner une physionomie particulière de la jeune femme : son intelligence diabolique, sa recherche du « pigeon », son impression d’impunité totale, qui la conduiront à sa perte.

Le récit est lent, la mise en place aussi. C’est cependant nécessaire pour comprendre la manière dont cette virtuose du mensonge s’invente et s’invite dans la vie de la proie qu’elle a choisie. Dès lors celle-ci ne peut plus résister, entourée d’une attention flatteuse, incapable de résister à cette fascination malgré quelques alertes de son intuition, voire de ses proches. Mais le filet est bien serré.

Les mécanismes des violences psychologiques sont à l’œuvre : séduction (voire fascination), isolement, dévalorisation, inversion de la culpabilité, éloignement, … lune de miel, … et rebelote !

Vous connaissez l’adage « C’est trop beau pour être vrai ». Quand ce qui vous arrive semble « trop », ne correspond pas à vos attentes réelles ou à vos propres besoins, et si ceux-ci sont bafoués, alors, FUYEZ !

La femme de Paul le résume si bien :

« En fait, la différence entre toi et moi, mon pauvre Paul, c’est le bon sens. Si je m’étais fait draguer par Brad Pitt, j’aurais trouvé ça suspect. (…) Mais toi, non. Marilyn te vampe et ça ne t’étonne pas ! »

C’est ce que Paul n’a pas su faire. A sa grande honte, en bafouant toutes les valeurs qui étaient les siennes.

Alors c’est sa vie en prison qu’il se raconte, une vie nouvelle, mais toujours au service des autres, comme avant. Enfin…

On voudrait le secouer Paulc lui dire qu’il se fourvoie, lui jeter un regard noir quand il répond au téléphone, lui faire un croc-en-jambe lorsqu’il décide de passer la porte. Mais non, le lecteur-spectateur ne peut que constater qu’il va à sa perte de façon irréversible…

Bien écrit, bien construit, ce premier roman déclenche des émotions contradictoires. Instructif sur la façon de se conduire des vampires des sentiments, il n’y a pas de temps mort. J’ai aimé la façon dont l’auteure a développé la personnalité des protagonistes, sans concession ni pour l’un ni pour l’autre : aucune empathie de la part de Camille, bien incapable d’en éprouver, assumation de ses responsabilités par le bon docteur.

Un premier roman très intéressant et bien agréable à lire.

Est-ce ainsi que les hommes jugent ?

Mathieu Menegaux

229 pages

Éditions Points, 2019, Éditions Grasset & Fasquelle, 2018

Fin de lecture 16 juillet 2022.

Une sympathique rencontre au Saint-Maur en Poche avec Mathieu Ménégaux m’a amenée à lui acheter trois de ses livres (ce qu’il a appelé « un triplé » ! ). J’avais déjà lu Je me suis tue,j’avais envie de retourner vers cette prose efficace, qui fait la part belle aux sentiments, explore le quotidien de ses personnages et alors qu’un grain de sable vient gripper leur vie, les propulse sur le devant de la scène malgré eux.

C’est cela aussi que j’ai retrouvé dans ce livre aux implications terribles.

Le talent de l’auteur amène tout d’abord le lecteur à être profondément touché par Claire, cette jeune fille qui a tout perdu. Il est essentiel de tout mettre en œuvre pour retrouver le coupable qui a fait basculer sa vie.

Et c’est déjà là que réside le problème : l’émotion. Elle prend le dessus sur la raison, fait promettre des choses insensées à un policier, Defils, préside à l’arrestation d’un innocent, Gustavo, amène celui-ci au bord des aveux pour en finir avec la pression. Et c’est aussi et surtout l’émotion générée par une jeune femme avide de vengeance, associée à une presse avide, elle, de sensationnel, qui va enfoncer Gustavo.

Prenez le tout, jetez dans un sachet, secouez, renversez. L’innocent devient ainsi coupable, condamné par la vindicte populaire sinon par la justice professionnelle.

Ça commence par un fait divers, ça se termine en lynchage sur la place publique. Mathieu Menegaux évoque tout d’abord l’acharnement de Defils, déterminé à démontrer la culpabilité de Gustavo pour tenir sa promesse à Claire.

« Defils est méticuleux, précautionneux, tenace et droit. (…) Relâcher un coupable est bien pire pour lui que garder un peu trop longtemps un innocent, qui s’en remettra avec le temps et des excuses. »

Puis, l’auteur dénonce le versant sombre des enjeux médiatiques et des réseaux sociaux, de ceux qui accusent sans preuves, commentent et condamnent sans aucune concession.

Le rouleau compresseur entré en action, il semble impossible de lui échapper : le pré-désigné coupable et sa famille sont écrasés sous un poids insupportable et surtout totalement injustifié. Le lecteur assiste alors, impuissant, à la dégringolade de l’homme sans histoire, aux menaces à l’encontre de ses propres enfants, aux sentiments mitigés de sa compagne, qui a choisi cependant de se battre avec lui, pour lui. La violence les atteint tous de manière irrémédiable.

« Comment lutter contre la furia populaire ? Il a le sentiment d’être livré à un tribunal d’épuration, à la Libération, ivre de vengeance et de symbole. »

On pourrait le lire dans un journal. Ou en faire un reportage. Combien de vies ont-elles été gâchées par les « on-dit », les rumeurs qui enflaient autrefois dans les villages ? Sauf qu’aujourd’hui, de parfaits inconnus peuvent prendre fait et cause pour ou contre une personne, un humain qui leur ressemble, depuis l’autre bout de la planète, et détruire sa vie…

Ça se lit vite et bien, avec une amertume qui reste en bouche quand on allume ces instruments de communication, si utiles mais qui peuvent s’avérer meurtriers : télévision, ordinateur et téléphone mobile.