Le sourire du Scorpion

Patrice Gain

207 pages

Le mot et le reste, 2020

Fin de lecture 14 mai 2022.

C’est une famille itinérante qui nous convie, à travers le récit de Tom, jeune garçon de quinze ans, à passer quelques jours en Moldavie pour descendre une rivière en rafting.

La famille, c’est donc Tom, sa sœur jumelle Luna, ainsi que leurs parents Alex et Émilie. Habitués à voyager de saison en saison dans leur camion-maison rouge, ils offrent leurs services à qui le souhaite. Revenant régulièrement aux mêmes lieux, ils y retrouvent d’autres saisonniers pour de belles fêtes.

En ce mois d’août, Alex le père de famille et Goran, un de ses nouveaux amis serbe, décident l’organisation de ce week-end de descente en rafting. Goran est guide et Alex est ravi d’initier sa famille. Mais Émilie n’est pas vraiment rassurée, atteinte d’un mauvais pressentiment. Au contraire, Luna est ravie de pouvoir repousser ses limites. Tom, en admiration constante de sa sœur, se tient en retrait, observateur de ce qui l’entoure.

Si le début est idyllique, la suite est un drame, qui entraîne la famille dans le chaos, écartelée. Chacun essaie de se reconstruire avec ses propres failles et potentiels. Mais ce qui se joue autour de cette famille initialement sans histoire les dépasse, et Tom en est le témoin et le révélateur. Malgré lui au début, puis volontairement.

Car le garçon fluet et « suiveur » qu’il décrit, va dans l’adversité se forger une personnalité adulte et dévoiler une vérité abjecte.

J’avais lu et aimé Terres fauves en 2020 et lorsque j’ai vu ce livre en présentoir de la médiathèque, je n’ai pas hésité.

On y retrouve le fabuleux sens du détail de l’auteur pour décrire la nature qui entoure les protagonistes et accompagne les événements qui les touchent. On entend le son ravageur de la rivière, celui enchanteur des oiseaux, on sent le vent dans la cerisaie et l’odeur salée de la Méditerranée, on voit les rochers approcher et s’épanouir le sourire du Scorpion tandis qu’il fond sur sa proie.

« Tout autour de la grange, les prés attendaient d’être fauchés. Des hautes herbes émergeaient une multitude de fleurs jaunes, blanches, bleues, violettes et de bien d’autres couleurs encore. Je garde de cet instant un souvenir bien vivace, quelque chose comme le battement d’ailes, dans la paume de votre main, d’un oiseau que l’on croyait mort, et de la chaleur de la fiente de frayeur dont il vous gratifie avant de prendre son envol. Un instant de grâce bien ancré dans la réalité du moment. »

Ce sont plusieurs livres en un, car de nombreux thèmes émergent : le récit terrible d’un jeune homme dont les émotions et les doutes s’amplifient au fil du temps, le deuil, la parentalité et la gémellité, l’isolement et l’abandon, les rencontres qui influent sur le cours de l’existence et le poids de l’Histoire.

Ce roman relativement court provoque des émotions contradictoires, du malaise à la révolte, de l’empathie à la compassion.

Une phrase parmi tant d’autres m’a beaucoup touchée :

« Ce qui compte, c’est de faire ce que l’on aime faire, avec les gens avec qui on aime être, surtout quand ça ne va pas fort. Le reste ne sert qu’à empeser le quotidien et à masquer la lumière. »

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Terres fauves

Patrice Gain

255 pages

Éditions Pocket, 2020, Éditions Le mot et le reste, 2018

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois de mai.

Neuvième livre lu dans le cadre du jury.

Fin de lecture 2 mai 2020

Le gouverneur de l’Etat de New York veut écrire ses mémoires. Son éditeur fait appel à David McCae, qui va les rédiger pour lui. Et comme le gouverneur compte parmi ses amis le brillant et renommé alpiniste Dick Carlson, l’éditeur mande à l’écrivain d’aller interviewer ledit alpiniste en Alaska. Mais, arrivé sur place, David surprend par hasard des informations qui peuvent remettre en cause l’écriture du livre, et se retrouve bientôt abandonné, seul au milieu d’une étendue hostile, proie des éléments et des animaux, voire des humains.

David raconte donc son histoire. Homme de la ville, il narre sans concession ses affres à l’idée de se confronter au froid, à l’avion, à la solitude. Obligé d’y faire face en raison des circonstances, l’homme se renouvelle et modifie en profondeur sa personnalité, laissant de côté la lâcheté qu’il désapprouve et se découvrant finalement un certain courage pour affronter ses peurs.

C’est une chasse à l’homme qui est décrite dans ce livre, mais également un road-trip. Patrice Gaine se donne ainsi l’occasion, par le truchement de son personnage, de décrire avec précision les paysages qu’il parcourt, l’écriture est riche, imposant à plusieurs reprises un détour par les pages du dictionnaire…

Un livre qui débute très lentement et pourrait rebuter, dont la tension se fait de plus en plus forte, qui m’a finalement beaucoup plu !

Citations

« À aucun moment il n’a sollicité mon assentiment. Dick Carlson dirigeait tout ce qui tournait autour de lui comme des astéroïdes tombés dans les filets du champ gravitationnel d’un astre. Je n’ai pas du tout aimé ça. » p50

« Mon bras et mon épaule à vif raclaient le sol rocheux. J’étais à bout de force. La douleur me submergeait par vagues. Les flammes montaient haut vers la cime des arbres. Je sentais la résine chaude des épicéas noirs qui offraient leurs branches odorantes comme de l’encens pour ce qui s’annonçait être mes funérailles. Le vent les caressait et faisait danser les volutes de fumée qui s’en échappaient tel un thuriféraire. Sous la voûte de la cathédrale étoilée, je me suis senti oublié des hommes et dans l’effroi du moment, tout comme Lennie, j’ai confié mon âme à Dieu. » p116