Ainsi gèlent les bulles de savon

L’été, un moment favorable pour souffler des bulles de savon avec les personnages de Marie Vareille. © CF 18/8/22

Marie Vareille

383 pages

Éditions Charleston, 2022

Fin de lecture 17 août 2022

J’ai eu le plaisir de rencontrer Marie Vareille en mai 2022, et ravie de me plonger à nouveau dans un de ses romans ciselés, qui vont droit au cœur.

Ici, trois histoires de femmes s’entrecroisent, des vies comme il en existe beaucoup. Une jeune parisienne mariée, Claire, une adolescente américaine sur un campus, Océane, et une inconnue qui narre une fuite éperdue au fond de l’Indonésie.

Les événements qui jalonnent leur vie mettent en exergue la condition féminine, les relations filiales ou amoureuses, le désir d’être mère et parfois l’indicible sentiment de ne pas en être une, l’envie d’être soi en-dehors de l’attente des autres.

Marie Vareille, avec le talent que j’avais déjà découvert dans La vie rêvée des chaussettes orphelines, prend le lecteur aux tripes, distille les indices, happe l’oxygène : l’instinct de survie peut être plus fort que l’amour maternel, mais ça ne dure jamais longtemps… Vouloir contenter un père n’est peut-être pas suffisant pour être heureuse.

L’auteur dresse ainsi le portrait émouvant de femmes à la recherche de la parfaite maternité ou de la vie qui leur conviendra. Mais elle esquisse aussi celui des hommes qui les accompagnent, des plus lâches aux plus aimants.

« On peut être considéré comme un père correct on se contentant de jouer une heure ou deux avec ses enfants le week-end, sans avoir la moindre idée de la date du prochain vaccin ou de la fête de l’école. Les mères, elles, ne bénéficient pas de ce droit-là. »

De façon très juste, sont décrites les étapes stressantes de la grossesse (l’enfant est-il en bonne santé ? les nausées, la fatigue, etc) associées au merveilleux bonheur d’anticiper la naissance, de ressentir au plus profond de soi les modifications de son propre corps et de celui d’un être en devenir. Mais peu de livres évoquent cette énorme sensation de vide ressentie à la naissance de l’enfant tant désiré et le fait que celui-ci ne déclenche pas immédiatement un amour inconditionnel.

Tant de pression exercée sur les épaules des jeunes mères par leur entourage, et combien plus encore par elles-mêmes ! Ce roman offre aussi une réflexion pour l’entourage qui, focalisé sur le « divin » enfant, ne doit pas oublier d’être également aux petits soins de sa maman, et pas que durant les jours qui suivent la naissance.

Et la jeune Océane, toute effacée et tremblante, m’a énormément touchée, à la fois par sa candeur et par sa détermination.

Et que viennent faire ici les bulles de savon ? Lisez… et vous comprendrez !

C’est un merveilleux ouvrage, à la fois roman à suspense et objet de réflexion personnelle, que j’ai lu d’une traite, ne pouvant me résoudre à le lâcher !

Publicité

Enfant de salaud

Sorj Chalandon

333 pages

Grasset, 2021

Fin de lecture 2 novembre 2021.

Rentrée littéraire

Je n’ai découvert Sorj Chalandon qu’en 2019, avec le très beau Une joie féroce.

Je ne savais donc pas qu’il évoquait à travers ses écrits son père, un menteur qu’il souhaitait voir se démasquer lui-même, avouer ses forfaits.

C’est chose faite dans Enfant de salaud mais par le fils qui énonce enfin tout haut ce qu’il avait compris tout bas.

Cette expression, qu’il doit à son grand-père, le jeune Sorj la fera sienne pour convoquer régulièrement les fantômes de son passé. Et dans ce livre, il remonte aux sources, les siennes et celles de l’Histoire, aux côtés d’un père plus intéressé par le paraître que l’être.

Le fils en prend d’autant plus conscience lorsqu’il doit assister en qualité de journaliste au procès de Klaus Barbie. On est à Lyon, en 1987. Son père souhaite en être également, pour admirer l’homme que tous détestent. Le père est à la parade, comme toujours.

« Il a regardé autour de lui. Toujours, il cherchait à savoir si on le remarquait, entre la crainte d’être écouté et l’espoir secret d’être entendu. »

Sorj n’y tient plus, il doit savoir. Il parvient à obtenir une copie du dossier judiciaire de son père durant la guerre et essaye tant bien que mal d’esquisser son portrait avant de le confondre en face à face.

Or, l’homme que Sorj prenait pour un héros de guerre se transforme à la lecture de ce dossier en aventurier prêt à retourner sa veste en fonction du sens du vent.

« Plus je lisais tes dépositions plus j’en étais convaincu : tu t’étais enivré d’aventures. Sans penser ni à bien ni à mal, sans te savoir traître ou te revendiquer patriote. Tu as enfilé des uniformes comme des costumes de théâtre, t’inventant chaque fois un nouveau personnage, écrivant chaque matin un autre scénario. »

C’est un affabulateur, un enjoliveur de situations qui lui tient lieu de père, un menteur pathologique, d’une mauvaise foi évidente – quand même les dates ne peuvent concorder avec les événements qu’il décrit – et d’une intelligence qui lui permet d’assurer son impunité.

Au prix peut-être d’une petite schizophrénie !

« Le patriote et le traître, sur un même document barré de tricolore. »

En parallèle s’écrivent donc les lignes du procès de Barbie et de celui que tient le fils contre le père. Mais les enjeux sont différents : pour les victimes de Barbie, une reconnaissance des crimes contre l’humanité commis par ce bourreau ; pour le journaliste, détenir enfin la vérité de ce qu’est son père, peu importent ses choix, seul le lien filial est essentiel.

C’est ce qu’attend Sorj, une confrontation pour mettre à plat les mensonges :

« Enfin, tu te serais débarrassé de ces oripeaux militaires et tu aurais endossé un bel habit d’homme. Un costume de père. »

C’est peu dire que j’ai aimé ce roman biographique. J’ai été émue aux larmes par la quête du fils pour rencontrer son « vrai » père. J’ai été profondément touchée par les témoignages dont se fait l’écho l’auteur lorsqu’il retrace le procès du Boucher de Lyon.

Sorj Chalandon a reçu en 1988 le Prix Albert-Londres pour ses chroniques du procès : son style, son écriture, sa manière de traiter l’information dans le livre ne démentent guère cette distinction. D’un côté les notes du procès, de l’autre le regard qu’il porte sur son père. Comme lorsqu’il avait commencé à écrire dans son carnet : les faits d’un côté, les émotions de l’autre… Une prise de recul salutaire, sans doute.

Je regrette cependant que, finaliste du Goncourt 2021, il n’en ait pas obtenu le Prix (sans dénier le lauréat !).

Ghost in love

Marc Levy

325 pages

Éditions Robert Laffont/Versilio,2019, Pocket, 2020

Illustrations intérieures de Pauline Lévêque

Fin de lecture 27 juin 2020

Je remercie les Éditions Pocket de m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’une rencontre avec l’auteur, malheureusement annulée en raison des conditions sanitaires.

Thomas est un pianiste virtuose, mais peu assuré dans la vie : il a quelques bons amis, une relation amoureuse fort instable. Son point d’ancrage est sa mère Jeanne, car son père est décédé voilà cinq ans. Et en ce jour anniversaire de sa mort, Raymond s’invite dans la vie de son fils !

Si celui-ci croit au début à un rêve, voire un cauchemar, le fantôme de Raymond convainc très vite Thomas de concrétiser la mission proposée : réaliser la promesse faite il y a trente ans à une femme profondément aimée, en mêlant leurs cendres, afin qu’ils soient à jamais réunis dans l’au-delà…

Sauf que cela exige de Thomas de traverser l’océan pour aller à San Francisco, ne pas se faire repérer avec une urne sous le bras, et revenir trois jours plus tard honorer un concert à Varsovie ! Et vivre ces quelques heures avec un facétieux fantôme qu’il est le seul à voir ne s’annonce pas de tout repos pour le jeune homme…

A travers une histoire ponctuée de remarques et situations très drôles, l’auteur aborde efficacement la relation père-fils, les amours contrariées, le regard des enfants sur les relations amoureuses de leurs parents, l’impact de l’exemple des parents sur les choix de vie des enfants, et bien évidemment le travail de deuil.

J’ai souri fréquemment, voire ri franchement, et éprouvé un sentiment de bien-être durant cette lecture. Une grande tendresse s’en dégage, et malgré l’abord de sujets sérieux, à aucun moment on ne sombre dans le « pathos », grâce à un savant dosage.

Les très belles illustrations de Pauline Lévêque permettent d’ancrer d’autant plus un visuel sur les lieux ou situations décrites par l’auteur. A quand la réalisation d’un film ?

J’avais lu les tous premiers ouvrages de Marc Levy, il y a longtemps. Me plonger dans ce roman a été une très jolie parenthèse entre les polars qui constituent actuellement mon fond de lecture.

Citations

« – Si tu savais ce que j’ai vécu ce soir, tu serais le premier à rire. Tu m’as fichu une sacrée peur, mais c’était doux de te voir, Papa, même dans un rêve étrange. »

« – Chasse cette pudeur qui nous empêche d’entendre les choses qui comptent. »