Seule la haine

David Ruiz Martin

240 pages

Taurnada Editions, 2021

Fin de lecture 6 juin 2021.

Je remercie les Éditions Taurnada pour m’avoir adressé cet ouvrage en format numérique dans le cadre d’un service presse. Préfacé par le procureur Nicolas Feuz, il est écrit par un auteur suisse, dont j’ai découvert la plume.

Neuchâtel, Suisse, un vendredi d’octobre. Dans son cabinet, le psychanalyste Larry Barney reçoit son dernier patient. Elliot, un sensible adolescent de quinze ans, le tient pour responsable de la mort de son frère, six mois auparavant. Le menaçant d’une arme, Elliot va raconter à Larry comment il l’a découvert et faire en sorte que celui-ci ne l’oublie jamais.

Voici un huis-clos que je ne suis pas près d’oublier ! L’homme enchaîné par des menottes à son bureau ou à sa chaise et l’adolescent plein de haine s’affrontent.

L’un écoute, c’est son métier, l’autre parle.

Mais l’expérience de psychanalyste du narrateur semble bien dérisoire face à ce garçon intelligent et retors. Car celui-ci connaît les réponses toutes faites, et semble avoir toujours un temps d’avance sur son aîné.

« Les mensonges détruisent l’être, mais l’ignorance torture l’esprit. Elle est plus vile, car invisible, elle s’implante dans la tête, provoque des idées noires et à terme, la pousse dans les méandres de la folie. C’est simple, ce gosse a juste besoin de parler et de se sentir écouté. Pour tenter d’évacuer la rage qui le ronge. »

Larry relate ainsi les propos virulents tenus par Elliot, la façon dont il évolue tout au long de cette prise d’otages, ainsi que son propre ressenti, tour à tour celui du professionnel et de l’homme confronté à la peur du geste ultime qui pourrait advenir. Sa raison et ses émotions chavirent sous le poids des révélations.

Elliot explique en effet qu’il a cherché à connaître les raisons de la mort de son frère. Il a trouvé une vérité terrible, et il en veut à Larry de ne pas avoir dissuadé son frère de mettre fin à ses jours. Et d’avoir tout simplement continué à vivre comme si cette mort ne l’avait pas affecté.

Or, Larry ne se souvient que d’un jeune homme mutique ou simplement résigné à faire ce qu’on attendait de lui. Ce serait-il trompé ?

Elliot apparaît attendrissant quand il décrit la peine qu’il éprouve de n’avoir pas pu prévenir la mort de son frère. Il est également terrifiant dans ses gestes et dans ses paroles quand il expose ce qu’il a découvert à propos de son frère et impose à Larry un récit et les images d’événements horribles.

Le psychanalyste, affaibli physiquement par la douleur et la peur, affecté moralement par la remise en question de son art, se trouve enfin confronté par le jeune garçon au pire des choix.

Je suis restée scotchée à mon fauteuil ! Une fois commencée la lecture, on veut absolument la poursuivre pour connaître le dénouement, tant le récit ne ménage ni son auteur, ni le lecteur. C’est très bien écrit, la tension monte et se maintient. Les émotions ressenties pour les deux protagonistes sont ambivalentes, voire ambigües. Face au désarroi du jeune homme, on voudrait lui tendre la main. Lui expliquer à l’instar de Larry qu’un psychanalyste ne peut pas tout. Mais quand sa haine prend le dessus, on souhaiterait se blottir dans un coin et laisser passer l’orage.

Quand à Larry, l’empathie à son comble au début du récit – il est tout de même la victime d’une violente prise d’otage – va se muer en un mépris croissant…

Très rapidement, j’ai imaginé ce face à face au théâtre, la situation et les personnages s’y prêtent, leurs échanges sont forts, notamment les monologues de l’adolescent emmuré dans sa vengeance. Et la place du silence, des silences, qui installent l’angoisse et la propagent dans la tête et le corps…

« À nouveau, il prend le temps en otage. Ainsi que toute mon attention. Laisser planer un silence entre chacune de ses phrases semble le satisfaire. A croire que ces moments suspendus dans le vide lui sont nécessaires. Comme si un besoin extrême de se nourrir de mes doutes le rongeait depuis son arrivée et qu’il s’en repaissait.

Ce gamin a faim. Mais de quoi ? »

Ce thriller psychologique ne saurait laisser indifférent au regard des messages qu’il véhicule : le drame d’un deuil vécu lors de l’adolescence, période déjà trouble du développement humain, la distance nécessaire mais peut-être trop appuyée du thérapeute confronté à la mort d’un patient, la haine et la longue préparation d’un complot mortifère.

Coup de cœur pour l’histoire abominable et la façon géniale de la mettre en scène !

Cette découverte de l’écriture de David Ruiz Martin m’a retournée, et donné envie de lire ses autres créations.

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Regard oblique

Dean Koontz

Traduction d’Anne Crichton

519 pages

Éditions Robert Laffont, 2002

Fin de lecture 20 septembre 2020.

Regard oblique conte le destin particulier de quatre personnages, qui sont, on ne sait pourquoi, liés : Junior Cain, un homme de 23 ans, pervers et cruel ; Bartholomé et Ange, deux enfants qui naissent dans des conditions tragiques au même moment mais dans des lieux éloignés, et Tom Vanadium, inspecteur de police lancé aux trousses de Cain.

Cain est en effet persuadé qu’un nommé Bartholomé lui veut du mal, mais, n’ayant aucune idée de son identité réelle, s’acharne à le trouver, semant le trouble et faisant couler le sang au fil de ses recherches. Vanadium a décelé la noirceur de cet être monstrueux, et n’a de cesse de le pourchasser pour arrêter sa course meurtrière. Il joue notamment sur la psychologie de Cain pour mieux le troubler.

Bartholomé vit avec sa maman Agnès, qui confectionne des gâteaux et vient en aide aux nécessiteux. Il est également entouré de ses oncles Jacob et Edom, jumeaux profondément marqués par leur enfance, qui les a rendus obsessionnels des catastrophes passées et à venir.

Ange est une petite fille adorable, qui s’épanouit auprès de sa tante.

Les deux enfants sont très précoces, chacun dans un genre différent : vers les mathématiques pour le jeune garçon, vers l’artistique pour la fillette. Le malheur qui s’abat sur eux est prétexte à faire passer des réflexions philosophiques d’un grand optimisme.

Dans cette histoire complexe, qui se déroule sur une trentaine d’années, Dean Koontz suscite l’attachement du lecteur pour ses personnages, y compris secondaires, et l’effroi face au comportement égoïste et dévastateur de Cain, construit en total contraste avec les autres.

Esprit trop cartésien, passez votre chemin ! Il faut simplement se laisser porter par ce livre empli tout à la fois de violence et d’amour, que je suis ravie d’avoir enfin sorti des étagères de la bibliothèque.

Il m’a fait voyager dans des histoires parallèles dans lesquelles s’entrechoquent thriller, amour, religion, superstition, physique, magie et évidemment psychologie… et j’ai beaucoup aimé !

P.S. : si vous découvrez sur votre table de nuit une pièce de vingt-cinq cents… ce sera sans doute normal ! 😉

Citations

« Chaque échec nous oblige à lutter de nouveau, encore et encore, pour enfin peut-être arriver à ses objectifs ; devant la fin d’une chose, il faut rebâtir autre chose de nouveau, devant la douleur et le deuil, il faut recommencer à vivre d’espoir, car chaque fil de nos vies est indispensable à la continuité de la trame humaine, et même à sa survivance. Toute heure d’une vie contient en germe le pouvoir de changer le monde. »

« Il y a toujours une compensation à notre peine… si nous savons la reconnaître. »