La dernière conquête du major Pettigrew

Do you want a cup of tea with Major Pettigrew and Mrs Ali ? © CF 5/09/22

Helen Simonson

494 pages

NiL édition, 2012

Fin de lecture 2 septembre 2022

Le major Pettigrew est un ancien militaire, à la retraite. Veuf, il vient de perdre son frère Bertie.

Ce n’est pas très joyeux dans la maison familiale de Edgecombe Saint Mary… les habitudes régissent la vie bien réglée du major, autour de ses lectures de Kipling, de chasse, de golf et bien évidemment du thé traditionnel. Il est en effet très attaché aux valeurs anglaises, et ne saurait choquer personne.

« Le smoking n’est pas un thème (…). C’est la tenue préférée des gens bien élevés. »

Mais le hasard est malicieux, et très pertinent !

Car c’est Madame Ali, l’épicière d’origine pakistanaise mais tout à fait anglaise, qui vient en aide au major en fort mauvaise posture. Tous deux se découvrent des points communs, dont la lecture.

Et tout à coup, la vie du vieux monsieur s’éclaire. Le courant passe entre les deux esseulés.

Mais les convenances pourraient bien les rattraper : un gentleman anglican ne saurait frayer avec une dame musulmane…

Dépité par sa belle-sœur et déçu par son propre fils, le major doit faire face à une querelle autour de vieux fusils, à un promoteur américain qui veut bouleverser la topographie du village, aux dames patronnesses qui veulent organiser un dîner-spectacle au très sélect club de golf local et à la famille de Mme Ali, pour le moins hostile à son égard.

Helen Simonson propose une histoire qui pourrait être adaptée en série, avec la touche « so british » adéquate. Car tout est représenté dans ce livre : la noblesse anglaise désargentée, l’appât du gain, l’enjeu de préserver les apparences, le racisme ordinaire, les mésalliances, les choix de vie compliqués, …

Si je pensais m’ennuyer en commençant ce livre qui prenait la poussière sur mes étagères, que nenni ! Je me suis beaucoup amusée des réflexions du major in petto bien souvent, mais également aux remarques bien senties, voire caustiques, qu’il envoie sans jamais se départir de son flegme :

« (…) de nos jours, les hommes attendent de leur femme qu’elle soit aussi époustouflante que leur maîtresse.

⁃ C’est atroce. Comment donc les distingueront-ils l’une de l’autre ? »

Et bien sûr, on assiste à l’évolution complexe de ses sentiments envers une très digne Mme Ali, en contrepoids des relations délétères entretenues par Roger.

« L’amour c’est cela, Roger. C’est quand une femme chasse toute pensée lucide de ton esprit, quand tu es incapable d’échafauder des stratagèmes de séduction et quand les manipulations habituelles t’échappent, quand tous tes plans soigneusement élaborés n’ont plus aucun sens et tout ce que tu peux faire, c’est rester muet en sa présence. Tu espères qu’elle ait pitié de toi et tu lâches quelques mots gentils dans le vide de ton esprit.»

Je me suis régalée de ce livre, une petite parenthèse au pays de Jane Austen, revisité « en mode » vingt et unième siècle.

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L’horizon d’une nuit

Camilla Grebe

Lu par Marie Bouvier et Philippe Spiteri

11 H 23

Audible, mars 2022

Fin de lecture le 19 mai 2022.

Et hop, un nouveau livre audio.

Et hop, un autre polar. Camilla Grebe, une valeur sûre pour maintenir le suspense.

Dans ce one-shot, l’autrice met en scène une famille recomposée : Samir, médecin franco-marocain, et sa fille Yasmin ont émigré de France en Suède après le terrible accident qui a coûté la vie à la mère et à la sœur de la jeune fille. Samir y a rencontré Maria, mère du jeune Vincent, atteint du syndrome de Down. Ils se sont mariés et les deux enfants vivent en harmonie, même si la jeune fille et sa belle-mère ne sont pas toujours sur la même longueur d’ondes, adolescence oblige.

Lorsque le livre débute, Maria participe à une soirée amicale. Lorsqu’elle rentre, sa belle-fille a disparu. Mais du sang retrouvé sur la falaise et une lettre d’adieu semblent indiquer que Yasmin s’est jetée dans la mer.

Toute la famille est dévastée.

Deux policiers sont chargés de l’enquête, dont Gunar. Samir est bientôt suspecté, et Maria qui le défendait se met aussi à douter. Et entre eux, Vincent observe et se tait… c’est la seule solution qu’il a trouvée pour se protéger.

Vingt ans après, on retrouve Gunar qui enquête sur le corps d’une femme rejeté par la mer, quasiment à l’endroit de la disparition de Yasmin : s’agit-il de celui la jeune fille ?

Maria, Vincent, Gunar et Yasmin décrivent tour à tour les événements tels qu’ils les vivent et les perçoivent, avec leurs sentiments, leur approche personnelle et ce qu’ils en comprennent. Les deux comédiens qui leur prêtent leurs voix sont remarquables. J’ai particulièrement apprécié la prestation relative au jeune Vincent, qui le rend très touchant.

Au début, j’ai cru avoir compris rapidement ce qui s’était passé. Puis, au fur et à mesure des récits parallèles, je me suis rendue compte que l’histoire était beaucoup plus complexe que ce que je pensais.

Camilla Grebe évoque la famille recomposée, le racisme, le handicap et les interactions entre enquêteurs, victimes et familles des victimes. Au-delà de l’histoire policière, il s’agit donc d’un roman riche en émotions qui explore les ressorts psychologiques des personnages et les conséquences des actes de chacun, réalisés ou manqués : car si l’un ou l’autre avait réagi différemment, une cascade d’événements terribles auraient pu être évités…

Un long, si long après-midi

Inga Vesper

Traduction de Thomas Leclere

409 pages

Éditions de La Martinière

Fin de lecture le 20 mars 2022.

Je remercie Babelio et les Éditions de La Martinière pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’une Masse Critique privilégiée.

Tout d’abord, arrêtons-nous sur la couverture : magnifique, lumineuse de tout ce jaune qui fait écho à ce chaud après-midi durant lequel Joyce a disparu.

« C’est un bon cliché. On peut presque sentir la chaleur des rayons du soleil qui filtrent à travers les rideaux. »

Si l’on s’approche un peu plus, cette image recèle cependant des détails incongrus. La cuisine familiale est tachée de sang…

Cette souillure va déclencher de nombreuses interrogations, d’abord de la part de Ruby, l’employée de maison, et ensuite des enquêteurs.

Car en ce bel après-midi, lorsque Ruby vient nettoyer la maison, elle découvre deux fillettes esseulées, leur mère disparue, et cette fameuse tache de sang…

Évidemment, c’est Ruby qu’on enferme, car en 1959, une femme pauvre et Noire ne saurait être que coupable.

Mais l’inspecteur Mick Blanke, en disgrâce de New-York, ne se laisse pas compter les codes en vigueur sur la côte Ouest. Pour lui, Ruby est innocente, et mieux, elle va lui permettre d’en apprendre plus sur les riches familles qui entourent la maison de Joyce.

Joyce et Ruby, Ruby et Joyce.

En apparence, tout les oppose. Joyce est Blanche, mariée à Franck. Avec leurs deux enfants, ils vivent à Sunnylakes, quartier chic de Santa Monica. Ruby est Noire, employée par différents propriétaires de Sunnylakes, elle peine à joindre les deux bouts avec les quelques heures de ménage qu’elle décroche.

Ce qui rassemble cependant Joyce et Ruby, c’est leur genre : à la fin des années cinquante, aux Etats-Unis comme ailleurs dans le monde, les femmes s’interrogent sur leur condition et militent pour le changement au sein d’associations féministes.

Même la femme de Mick est adepte de ces mouvements :

« Juste après leur installation à Santa Monica, Fran a découvert le Comité des Femmes pour le Progrès local. Elle s’y est rendue religieusement et sa vie s’est beaucoup améliorée. Celle de Mick, par contre… »

Ruby veut aussi militer pour les droits des Noirs mais son compagnon Joseph s’y oppose… Mais la jeune femme est tenace. Elle a des droits, elle veut les faire valoir. Mieux, elle veut les faire évoluer courageusement :

« Joseph, dit-elle. Tu restes en dehors de mes affaires. Je veux travailler. C’est un vrai travail. Tu dis que nous autres, on est toujours enchaînés. Alors ne commence pas à m’enchaîner, toi aussi. »

Ruby et Joyce avaient créé les liens d’une amitié faisant fi des données sociologiques. Ruby ne peut donc laisser inconnue la destinée de Joyce. Et Mick, homme conscient de ses propres failles et donc contre tous les préjugés de l’époque, fait confiance en la détermination de la jeune femme.

Récit de Joyce, actions de Ruby et de Mick alternent, chapitre après chapitre, pour confronter deux mondes pas si différents au fond :

« Les gens de Sunnylakes, ils vivent au pays des rêves. Et ils veillent à ce que personne ne vienne percer leur bulle. Ils… jouent à faire semblant. »

Avec acuité et quelques pointes d’humour bien senties, Inga Vesper peint avec talent une société américaine en pleine mutation et esquisse plusieurs portraits de femmes aux rêves brisés. Rêves d’égalité et de parité…

Un premier roman de très grande qualité, qui laisse un goût doux-amer.

LES PUBS que vous ne verrez plus jamais

100 ans de publicités sexistes, racistes, ou tout simplement stupides

Annie Pastor

Traductions Arthur Desinge et Alexis Doualle

158 pages

Hugo et Cie, 2012

Fin de lecture 1er octobre 2021.

Publicité, vous avez dit publicité ?

L’enjeu, c’est évidemment de vendre un produit. En attirant l’œil et donc l’intérêt, par un slogan et un visuel approprié.

Cet ouvrage compile, avec quelques commentaires de l’auteure, à la fois des slogans et des images, en noir et blanc ou colorés, qui seraient désormais interdits par la loi ou dénoncés par des associations, et par ailleurs, la vente ou la promotion de produits aujourd’hui prohibés. Et quelquefois, voire souvent, un amalgame des deux !

Au titre des produits interdits de publicité, l’alcool : promu par des enfants, voire des bébés – aux visages très très laids de surcroît – dans le cas de la bière, le « dernier verre avant de prendre la route » était la règle… et la cigarette et autres drogues n’étaient pas en reste. Validés par des médecins eux-mêmes consommateurs, ces produits censés apaiser tous les membres de la famille étaient alors bienvenus pour éviter les conflits, favoriser le sommeil et un certain bien-être. « Héroïne » était même une marque déposée par un laboratoire contre les maux de gorge et de tête !

Au rang des messages toujours tendancieux, la place de la femme. A la maison bien sûr, entourée de ses appareils ménagers, cadeaux offerts aux fêtes traditionnelles par son mari tout-puissant qui rentrait harassé de sa journée de travail et se devait de trouver une épouse modèle aux petits soins, et surtout propre – de partout… Femme fragile incapable de conduire sans provoquer un accident, rabaissée au rang de carpette ou tout simplement aux pieds de ces messieurs, mise en exergue dans le cadre de messages ou visuels à la limite de la pornographie… ou carrément fessée par son seigneur et maître qui démontrait ainsi sa virilité.

Et l’auteure d’ironiser :

« Bon, maintenant que le ménage est fait, que la cuisine mijote, l’ultime question : êtes-vous toujours aussi séduisante pour l’homme qui vous a épousée ? »

Bien évidemment, le racisme n’est pas en reste, quand il s’agit d’utiliser des lessives ou savons capables de rendre plus blanc, ou de mettre en scène le domestique Noir au service du maître Blanc.

J’ai trouvé très intéressant de considérer au travers de ces publicités l’évolution des mœurs et des sociétés ainsi que l’impact des recherches scientifiques sur l’interdiction de produits considérés à présent comme dangereux pour la santé et la sécurité. Si je n’ai pas été étonnée face à la plupart, certaines m’ont malgré tout franchement choquée. Et s’agissant de l’aspect purement éditorial, bien qu’elles soient classées dans des thématiques chapitrées, j’ai néanmoins regretté que chacune de ces publicités ne soit pas datée, pour rendre justement compte de la vision de la société à un instant T.

Mais ne nous leurrons pas, si des progrès manifestes ont été effectués pour gommer certains messages ouvertement outrageants, le sexisme et la bêtise sont encore, en 2021, assez répandus… Y compris dans la publicité !

PS : Un grand merci à mon collègue Fred qui m’a permis de découvrir cet ouvrage, au terme de discussions fructueuses sur ces thèmes.