#nouveaucontact_

Duhamel

72 pages

Bamboo Éditions, Collection Grand Angle, 2019

Fin de lecture le 10 avril 2023

Je recherchais une bande dessinée amusante, j’ai été servie !

Après un savoureux avertissement de l’auteur en mode « si vous n’avez pas compris que tout ça est du second degré, mais pas que, passez votre chemin ! », on fait connaissance de trois habitants d’un tout petit village écossais, Castle Loch : Maggie qui tient l’épicerie, le « general store », une nouvelle venue, Emma Holmes, qui vient de racheter une ferme et surtout Doug, le photographe raté qui ne veut pas que ses photographies soient vues par d’autres que lui.

Mais un soir, Doug prenant à la chaîne des clichés des animaux qui barbotent dans le lac juste devant sa maison, une mystérieuse et horrible créature translucide apparaît sur son écran, puis il voit l’énorme bête. Doug n’en croit pas ses yeux. Un instant, il se dit qu’il tient là sa revanche et une possible reconnaissance : il poste les photos sur un réseau social qui ne lui a rien apporté jusqu’alors, Twister.

Et c’est le début du chaos.

Journalistes, chasseurs, scientifiques, écologistes, soldats, puis féministes, … bref, autant de groupes divers et variés qui assiègent la maison de Doug qui en perd la tête.

J’ai adoré cette BD. Elle montre les effets ravageurs des réseaux sociaux, les luttes de pouvoir qui se tissent dans l’ombre sans aucune retenue, la violence qui en émane. Sous couvert d’un événement qui pourrait être banal, Duhamel dessine les dangers qui résultent de notre société ultra-connectée et de l’influence du grand nombre sur des esprits qui ne prennent plus le recul nécessaire et l’instant de réflexion salutaire avant d’écrire ou d’agir.

Les planches, les couleurs, les dialogues, le ton, tout concourt à l’attractivité de cette bande dessinée.

Cette BD devrait être étudiée au lycée tant les messages qu’elle délivre sont importants. La dichotomie entre les images dont nous sommes saturés et les messages véhiculés par exemple.

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Suivie

Ellery Lloyd

507 pages

Hugo Poche, septembre 2022

Fin de lecture 8 septembre 2022

Je remercie les éditions Hugo pour m’avoir adressé, dans le cadre d’un service presse, ce premier titre d’un couple de journaliste et d’écrivain écrivant sous pseudonyme. La couverture, très belle, évoque d’emblée le sujet traité.

« La célébrité, c’est l’avantage d’être connu de ceux qui ne vous connaissent pas » écrivait jadis le moraliste Chamfort.

Les réseaux sociaux forment aujourd’hui un lieu propice à la promotion de vies ordinaires qui y deviennent ainsi extra-ordinaires, au sens premier du terme.

Mais prôner la transparence à tout prix peut se retourner contre soi, lorsqu’on transgresse en fait la vérité. « Les gens heureux n’ont pas d’histoire » écrivait Tolstoï, hé bien les instamums non plus !

Or, paradoxalement, la vie d’Emmy Jackson est plutôt agréable. Les défauts, les difficultés avec ses jeunes enfants, ne sont exposés que pour faire le buzz et augmenter son audience, parce que c’est ce qui marche.

« Le concept tout entier tient dans la notion d’un pétrin commun dans lequel je me débats tout comme elles, et que, tout comme elles, je fais au mieux. »

Mais les posts et stories sont-ils toujours sans conséquence ?

Emmy va en faire l’amère expérience. Même son écrivain de mari Dan ne croit plus en elle. Sa fille refuse fréquemment de se prêter au jeu des photos mises en scène. Et surtout, parmi les milliers d’abonnés qui suivent sa vie de mère de famille soi-disant honnête, une personne en veut à Emmy. L’heure d’une redoutable vengeance a sonné pour la jeune femme qui s’est prise à son propre piège, entre contrats juteux et cadeaux mirifiques.

Les scénarios habiles mais purement mensongers auquels elle a fini par croire ne lui seront d’aucun secours. Les valeurs morales d’Emmy décroissent à mesure que sa popularité progresse.

Les chapitres se succèdent : Emmy, Dan et le mystérieux personnage qui fomente dans l’ombre son forfait exposent leur quotidien et leurs réflexions.

Ce livre fait froid dans le dos. Il décrit de façon très édifiante les faces cachées des réseaux sociaux, les vies faites et défaites par de simples clics, par des messages empathiques ou haineux.

Il montre les dérives qui guettent ceux dont l’existence ne procède plus que des photos, stories et autres messages postés à longueur de journée, et dont les contrats mirifiques les empêchent d’y mettre un terme, à l’instar de leur agent.

Et la fin est d’une ironie parfaitement maîtrisée…

Un roman, mais presque un document, qui m’a procuré des émotions très contradictoires : de l’empathie, voire de la compassion pour l’entourage d’Emmy, de la colère à son encontre, de l’horreur face à ce qui lui arrive, et une certaine tristesse face aux leçons non intégrées…

Est-ce ainsi que les hommes jugent ?

Mathieu Menegaux

229 pages

Éditions Points, 2019, Éditions Grasset & Fasquelle, 2018

Fin de lecture 16 juillet 2022.

Une sympathique rencontre au Saint-Maur en Poche avec Mathieu Ménégaux m’a amenée à lui acheter trois de ses livres (ce qu’il a appelé « un triplé » ! ). J’avais déjà lu Je me suis tue,j’avais envie de retourner vers cette prose efficace, qui fait la part belle aux sentiments, explore le quotidien de ses personnages et alors qu’un grain de sable vient gripper leur vie, les propulse sur le devant de la scène malgré eux.

C’est cela aussi que j’ai retrouvé dans ce livre aux implications terribles.

Le talent de l’auteur amène tout d’abord le lecteur à être profondément touché par Claire, cette jeune fille qui a tout perdu. Il est essentiel de tout mettre en œuvre pour retrouver le coupable qui a fait basculer sa vie.

Et c’est déjà là que réside le problème : l’émotion. Elle prend le dessus sur la raison, fait promettre des choses insensées à un policier, Defils, préside à l’arrestation d’un innocent, Gustavo, amène celui-ci au bord des aveux pour en finir avec la pression. Et c’est aussi et surtout l’émotion générée par une jeune femme avide de vengeance, associée à une presse avide, elle, de sensationnel, qui va enfoncer Gustavo.

Prenez le tout, jetez dans un sachet, secouez, renversez. L’innocent devient ainsi coupable, condamné par la vindicte populaire sinon par la justice professionnelle.

Ça commence par un fait divers, ça se termine en lynchage sur la place publique. Mathieu Menegaux évoque tout d’abord l’acharnement de Defils, déterminé à démontrer la culpabilité de Gustavo pour tenir sa promesse à Claire.

« Defils est méticuleux, précautionneux, tenace et droit. (…) Relâcher un coupable est bien pire pour lui que garder un peu trop longtemps un innocent, qui s’en remettra avec le temps et des excuses. »

Puis, l’auteur dénonce le versant sombre des enjeux médiatiques et des réseaux sociaux, de ceux qui accusent sans preuves, commentent et condamnent sans aucune concession.

Le rouleau compresseur entré en action, il semble impossible de lui échapper : le pré-désigné coupable et sa famille sont écrasés sous un poids insupportable et surtout totalement injustifié. Le lecteur assiste alors, impuissant, à la dégringolade de l’homme sans histoire, aux menaces à l’encontre de ses propres enfants, aux sentiments mitigés de sa compagne, qui a choisi cependant de se battre avec lui, pour lui. La violence les atteint tous de manière irrémédiable.

« Comment lutter contre la furia populaire ? Il a le sentiment d’être livré à un tribunal d’épuration, à la Libération, ivre de vengeance et de symbole. »

On pourrait le lire dans un journal. Ou en faire un reportage. Combien de vies ont-elles été gâchées par les « on-dit », les rumeurs qui enflaient autrefois dans les villages ? Sauf qu’aujourd’hui, de parfaits inconnus peuvent prendre fait et cause pour ou contre une personne, un humain qui leur ressemble, depuis l’autre bout de la planète, et détruire sa vie…

Ça se lit vite et bien, avec une amertume qui reste en bouche quand on allume ces instruments de communication, si utiles mais qui peuvent s’avérer meurtriers : télévision, ordinateur et téléphone mobile.

Bienvenue à Gomorrhe

Qui donc se cache vraiment derrière le clavier ? ©CF mai 2022

Tom Chatfield

543 pages

Hugo Poche collection Suspense, 2022

Fin de lecture 19 avril 2022

Je remercie les Éditions Hugo pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’un service presse.

Azi est un jeune homme britannique. Mais son truc à lui, ce n’est pas de fréquenter les bars et les jeunes femmes. Non, Azi aime son abri de jardin doté de toute la technologie lui permettant de s’infiltrer dans les méandres de l’internet mondial. Son métier : hackeur. Son idéologie : mettre des bâtons dans les roues aux extrémistes de tous poils. Sans quitter son fauteuil. Et en veillant bien sûr à ne pas se faire démasquer :

« Ne jamais laisser de traces. Un hackeur n’est pas un prédateur qui parade avec sa proie dans la gueule. Un hackeur n’est personne : un fantôme dans la machine, mais dans celle d’un autre. »

Azi n’a pas d’ami. Des connaissances virtuelles seulement. La confiance est ténue sur le web : si lui déguise son identité pour de bonnes causes, il n’a aucune idée de ce qui se cache derrière les autres.

Sauf que la routine virtuelle d’Azi va se confronter de façon brutale à la vie réelle. Car une de ses correspondantes, qui se fait appeler Sigma, lui indique avoir besoin d’aide suite à des incursions audacieuses sur le très secret réseau Gomorrhe. Et que dans la foulée, une jeune femme, Anna, lui demande pour le compte d’une mystérieuse organisation d’infiltrer ce réseau, sur lequel tout s’échange. Terrorisme, prostitution, drogue, armes, enlèvements, meurtres commandités : le fond de commerce de ce darknet représente le vice et la perversion.

Alors mettre un doigt dans ce filet très protégé n’est évidemment pas sans risque. Mais Azi est mis sous pression par Anna et son organisation.

Et voilà notre jeune héros embarqué dans des aventures que son clavier n’avait pas imaginées ! Courses-poursuites en Europe, enlèvements, mensonges, trahisons, retournements de situation, tout y est. IRL – In Real Life – sans technologie de pointe à sa disposition, Azi doit trouver malgré tout le moyen de survivre… et très vite !

A travers cette histoire très bien menée, Tom Chatfield expose les risques encourus avec les nouvelles technologies et notamment les réseaux sociaux où sévissent des « amis » très malintentionnés. Il détaille les recherches effectuées par les hackeurs pour se forger une identité totalement inventée… en sommeil durant le temps voulu. Et leur patience qui fait donc froid dans le dos…

Il évoque également les ressorts psychologiques qui entraînent des humains pourtant intelligents à se jeter dans la gueule du loup :

« En créant un sentiment d’urgence qui élimine les autres choix d’action, vous engendrez une situation où votre interlocuteur n’a d’autres options que de faire ce que vous voulez qu’il fasse, même s’il a l’illusion d’avoir pris lui-même la décision. »

L’auteur spécialisé dans le digital fait montre dans ce premier roman très documenté d’une parfaite maîtrise des ressorts d’une histoire d’espionnage moderne : violence, secrets, faux-semblants et coups-bas, assaisonnés d’un certain humour « so british » bienvenu pour détendre l’atmosphère !

Un excellent thriller qui a remporté le Prix Douglas-Kennedy du meilleur thriller étranger 2020, tout à fait justifié.