
Ryan Gattis
Traduction Nadège T. Dulot
403 pages
Le Livre de Poche, 2020, Librairie Arthème Fayard, 2019
Fin de lecture 23 juin 2020
Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois de juin.
Douzième livre lu dans le cadre du jury.
Dans le Los Angeles post-crise des subprimes, est-il possible de se trouver un lieu sûr, paisible, protecteur ?
C’est la quête de Ricky Mendoza Junior, alias Ghost, mais aussi, sans qu’il s’en doute, de Rudolfo « Rudy » Reyes, alias Glasses.
Tout pourrait opposer les deux hommes : Ghost est un ancien junkie, passé du bon côté puisqu’il travaille pour un serrurier à l’ouverture des coffres-forts découverts par les agences gouvernementales, dont la DEA.
Glasses est à la solde d’un parrain de la drogue, Rooster, qui laisse, comme il se doit, ses lieutenants se salir les mains à sa place.
Mais un concours de circonstances va les mettre en présence : après des années de travail « clean », Ghost a décidé de prendre le contenu d’un coffre pour aider une personne qui lui est chère… mais le contenu de ce coffre appartient à Rooster !
Ghost doit fuir les fédéraux et les malfrats qui en veulent à sa peau. Mais un autre casse l’attend, pour une nouvelle « bonne cause »…
Le lecteur pénètre, via les pensées des deux protagonistes, dans un monde de violence et de peur du lendemain : une fois qu’on a mis le doigt dans l’engrenage de la drogue, il est impossible de s’en sortir, qu’on soit du côté du dealer ou du junkie. Et la passerelle entre les deux est si ténue !
Ghost veut néanmoins s’amender, ses pensées éternellement tournées vers une jeune fille, Rose, qui reste l’amour de sa vie. Alors qu’il entame son retour à la délinquance, les chansons de la cassette audio léguée par Rose le bercent et l’accompagnent.
Cet ouvrage est très particulier, puisqu’il met en présence deux malfaiteurs qui, bien qu’opposés apparemment dans leurs choix, sont à un tournant de leur vie. La violence est contrastée par la douceur des pensées de Ghost pour Rose et de Glasses pour sa femme Leyla et leur fils Felix. Ce qui peut d’ailleurs procurer un certain malaise au lecteur qui pourrait se laisser à un peu d’empathie pour eux…
Sur l’écriture, je n’ai pas trouvé disproportionné le recours à la vulgarité, au regard des personnages mis en scène. J’ai néanmoins regretté à certains endroits quelques redites, mais ne sont-elles pas l’apanage des pensées qui nous traversent lorsque nous somme soucieux ?
Ce polar est particulièrement mélancolique, et si j’ai apprécié cette approche particulière et le traitement des personnages principaux, je n’arrive pas à me décider pour savoir si je l’ai aimé ou non. Je le qualifierais plus volontiers d’expérience de lecture…
Citations
« Les portes blindées, ça sert à rien. Si ça ouvre pas quand ils frappent, c’est là que j’interviens.
Avec une serrure Medeco ou Schlage Primus, t’as probablement une ou deux minutes de plus pour te bouger le cul, détaler par la fenêtre de derrière et te retrouver face à un agent, gun pointé sur ta gueule, prêt à tirer si tu fais le mariole. Ou t’as peut-être un entrebâilleur avec une chaînette, mais vu que les Stups arrivent avec leur bélier, les chaînettes, c’est mignon. »
« J’ai une magnifique rose sur la poitrine, parce que son nom suffisait pas. Un tatouage, c’est comme un fil sous la peau. Ça rend réel l’invisible. Ça capture les rêves, les souhaits et les souvenirs, ça les brode à l’encre sur le corps pour qu’on puisse les emmener partout avec soi et les montrer, mais seulement quand on a envie. »
« C’est possible de nuire à quelqu’un qu’on n’a jamais rencontré, de vraiment lui faire du mal. Le plus gros problème quand tu fermes ta porte à la conscience pendant des années, c’est que, quand elle finit par rentrer, elle réclame tous les intérêts que tu lui dois. Des intérêts féroces. »
« Rose disait que personne n’est protégé dans ce monde. Il n’y a pas de lieu sûr. Jamais. Et quand on croit qu’on est en sécurité, c’est là qu’on l’est pas. C’est une des grandes vérités : tout l’argent que tu touches dans ta vie, c’est qu’un prêt. Tout est risqué. »