Un long, si long après-midi

Inga Vesper

Traduction de Thomas Leclere

409 pages

Éditions de La Martinière

Fin de lecture le 20 mars 2022.

Je remercie Babelio et les Éditions de La Martinière pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’une Masse Critique privilégiée.

Tout d’abord, arrêtons-nous sur la couverture : magnifique, lumineuse de tout ce jaune qui fait écho à ce chaud après-midi durant lequel Joyce a disparu.

« C’est un bon cliché. On peut presque sentir la chaleur des rayons du soleil qui filtrent à travers les rideaux. »

Si l’on s’approche un peu plus, cette image recèle cependant des détails incongrus. La cuisine familiale est tachée de sang…

Cette souillure va déclencher de nombreuses interrogations, d’abord de la part de Ruby, l’employée de maison, et ensuite des enquêteurs.

Car en ce bel après-midi, lorsque Ruby vient nettoyer la maison, elle découvre deux fillettes esseulées, leur mère disparue, et cette fameuse tache de sang…

Évidemment, c’est Ruby qu’on enferme, car en 1959, une femme pauvre et Noire ne saurait être que coupable.

Mais l’inspecteur Mick Blanke, en disgrâce de New-York, ne se laisse pas compter les codes en vigueur sur la côte Ouest. Pour lui, Ruby est innocente, et mieux, elle va lui permettre d’en apprendre plus sur les riches familles qui entourent la maison de Joyce.

Joyce et Ruby, Ruby et Joyce.

En apparence, tout les oppose. Joyce est Blanche, mariée à Franck. Avec leurs deux enfants, ils vivent à Sunnylakes, quartier chic de Santa Monica. Ruby est Noire, employée par différents propriétaires de Sunnylakes, elle peine à joindre les deux bouts avec les quelques heures de ménage qu’elle décroche.

Ce qui rassemble cependant Joyce et Ruby, c’est leur genre : à la fin des années cinquante, aux Etats-Unis comme ailleurs dans le monde, les femmes s’interrogent sur leur condition et militent pour le changement au sein d’associations féministes.

Même la femme de Mick est adepte de ces mouvements :

« Juste après leur installation à Santa Monica, Fran a découvert le Comité des Femmes pour le Progrès local. Elle s’y est rendue religieusement et sa vie s’est beaucoup améliorée. Celle de Mick, par contre… »

Ruby veut aussi militer pour les droits des Noirs mais son compagnon Joseph s’y oppose… Mais la jeune femme est tenace. Elle a des droits, elle veut les faire valoir. Mieux, elle veut les faire évoluer courageusement :

« Joseph, dit-elle. Tu restes en dehors de mes affaires. Je veux travailler. C’est un vrai travail. Tu dis que nous autres, on est toujours enchaînés. Alors ne commence pas à m’enchaîner, toi aussi. »

Ruby et Joyce avaient créé les liens d’une amitié faisant fi des données sociologiques. Ruby ne peut donc laisser inconnue la destinée de Joyce. Et Mick, homme conscient de ses propres failles et donc contre tous les préjugés de l’époque, fait confiance en la détermination de la jeune femme.

Récit de Joyce, actions de Ruby et de Mick alternent, chapitre après chapitre, pour confronter deux mondes pas si différents au fond :

« Les gens de Sunnylakes, ils vivent au pays des rêves. Et ils veillent à ce que personne ne vienne percer leur bulle. Ils… jouent à faire semblant. »

Avec acuité et quelques pointes d’humour bien senties, Inga Vesper peint avec talent une société américaine en pleine mutation et esquisse plusieurs portraits de femmes aux rêves brisés. Rêves d’égalité et de parité…

Un premier roman de très grande qualité, qui laisse un goût doux-amer.