Août 61

Sarah Cohen-Scali

477 pages

Albin Michel Jeunesse, 2019

Fin de lecture 10 juillet 2022.

Dans Max, elle évoquait les Lebernsborn. Dans Orphelins 88, les jeunes enfants rescapés des camps. Dans ce troisième et dernier volet du triptyque, Sarah Cohen-Scali met en évidence les conséquences de la Deuxième Guerre Mondiale sur les jeunes gens issus des camps et qui se retrouvent dans un Berlin écartelé.

Août 61 relate l’histoire de Ben, rescapé des camps de concentration, dont la maladie d’Alzheimer prend peu à peu possession. Alors qu’il a souhaité consciemment se protéger et oublier sa vie d’après les camps, cette terrible maladie vient rebattre les cartes.

De façon ironique, si le présent se complexifie, le passé s’éclaircit peu à peu.

Des pans entiers de la vie de Ben refont surface, d’abord grâce au jeune Beniek, qui a échappé à une mort annoncée et rencontré Tuva, l’amour de sa vie, ensuite à l’adolescent Ben, qui a fait partie des « Boys » émigrés en Angleterre, et enfin Beni, celui qui retrouva Tuva. C’est une quête pour sa mémoire et la recherche de la vérité que mène Ben au moyen d’un monologue intérieur déployé tour à tour par ses alter-ego.

Une mystérieuse poupée joue un rôle essentiel dans cette remontée des souvenirs.

Ben va comprendre comment la vie s’est déroulée en Allemagne de l’Est après la construction du mur de Berlin, en… août 1961.

Ce livre boucle le cursus de mise en lumière des exactions avant, pendant et après la guerre. On y retrouve les enfants issus des Lebensborn grâce à Tuva, et leur vie marquée par les circonstances de leur naissance, les jeunes Juifs aidés par les RRA à passer en Angleterre, mais rapidement laissés-pour-compte.

Mais ce livre va plus loin, en ouvrant vers l’étrange partition qui a ouvert la voie à de nouvelles oppressions, en Allemagne de l’Est cette fois, avec les mêmes conséquences sur les enfants.

Si j’ai un peu moins accroché aux premières parties du livre, celle tournée essentiellement vers la vie de l’autre côté du mur de Berlin après Août 61 m’a passionnée, interpellée et et terrifiée.

L’ensemble est très émouvant, voire poignant par moments.

L’impression est de regarder se débattre ce vieil homme avec ses souvenirs, certains qu’il souhaite recouvrer plus que tout, d’autres au contraire qu’il rejette tant ils sont douloureux. Et par-delà, sa quête désormais quotidienne pour reconnaître son environnement, ses proches.

Sarah Cohen-Scali use de tout son talent pour élaborer un roman autour de la mémoire, celle de chaque être humain certes, mais aussi et surtout la mémoire collective, afin que nul n’en ignore et que jamais ne se reproduisent des exactions identiques.

« OUBLIER ?

Oui, c’est ça, j’oublie. Je tire un trait surles morts et je les enterre – ce qui tombe bien, puisqu’ils n’ont pas eu de sépulture. J’oublie, comme ça toi aussi tu oublies, et le monde entier oubliera vite, le plus vite possible.

« Plus jamais ça », a-t-on proclamé au lendemain de la libération des camps. Mais comment respecter ce serment, si l’on ne parle pas de

« ça » ? »

Malheureusement, à l’aune des faits relatés dans le livre et des actualités contemporaines, il semble que la leçon n’a pas été apprise sérieusement..

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Max

Sarah Cohen-Scali

478 pages

Éditions Gallimard Jeunesse, 2015

Fin de lecture 30 novembre 2020.

Vous aimez les bébés ? Alors venez, approchez-vous du berceau. Vous y trouverez un garçon magnifique, blond, aux grands yeux bleus qui vous donneront l’impression qu’ils lisent en vous.

Peut-être reculerez-vous alors. Et vous ferez bien. Car vous venez d’entrer dans une des pires expérimentations lancées par le régime nazi : le programme Lebensborn.

Mais l’intérêt de Max, c’est que vous y entrerez de l’intérieur, vous découvrirez, dans les pensées et les gestes de cet enfant conçu et formaté pour faire partie des meilleurs éléments des Jeunesses hitlériennes, l’horreur des viols d’Etat, des enfants arrachés à leur famille, des pensionnats créés à la gloire du dictateur.

Dans ce roman extrêmement documenté, qui est le premier opus d’une trilogie, Sarah Cohen-Scali entraîne le lecteur dans une histoire monstrueuse, dans un thriller d’autant plus odieux qu’il est le reflet de la réalité vécue par des milliers d’enfants (et leur famille) avant et pendant la Seconde Guerre Mondiale.

« Il faut profiter des hommes, tant qu’ils sont vivants. Beaucoup vont mourir au champ d’honneur. Les naissances diminueront. Or l’Allemagne ne doit pas être un peuple de vieillards. Il faut y veiller ! À l’avance ! D’où notre programmation. »

De 1936 à 1945, c’est avec surprise tout d’abord, puis le coeur au bord des lèvres qu’on suit le cheminement de l’enfant-narrateur qui se sait destiné à une grande – sinon noble – cause. Tour à tour s’affrontent dégoût et compassion pour la personne de ce petit être qui n’a rien demandé, même pas à vivre, et qui va participer, vaillamment, aux rafles d’enfants pour contribuer au projet sordide du Troisième Reich. Mais on entrevoit quelques lueurs d’espoir et de bienveillance au milieu de la violence, de la haine et de la colère. Le jeune d’apparence insensible est malgré tout un humain qui se protège, et qui va, dans ce monde où seuls les plus aptes – ou les plus roublards – survivent, protéger un autre que lui.

« Copier est un déshonneur (à l’inverse de la délation et de l’espionnage, considérés comme des valeurs fondamentales). »

Âmes sensibles, abstenez-vous donc de vous approcher du berceau ! C’est dur, c’est cru, c’est noir comme la nuit qui enveloppa cette époque…

J’ai eu un énorme coup de cœur pour ce roman historique à lire absolument : pour s’instruire, pour s’interroger, pour découvrir le fabuleux talent de conteuse de Sarah Cohen-Scali.

Et pour en apprendre plus sur la suite de cette page sombre de l’histoire contemporaine, il faut lire Orphelins 88 le deuxième opus de la trilogie.