L’horizon d’une nuit

Camilla Grebe

Lu par Marie Bouvier et Philippe Spiteri

11 H 23

Audible, mars 2022

Fin de lecture le 19 mai 2022.

Et hop, un nouveau livre audio.

Et hop, un autre polar. Camilla Grebe, une valeur sûre pour maintenir le suspense.

Dans ce one-shot, l’autrice met en scène une famille recomposée : Samir, médecin franco-marocain, et sa fille Yasmin ont émigré de France en Suède après le terrible accident qui a coûté la vie à la mère et à la sœur de la jeune fille. Samir y a rencontré Maria, mère du jeune Vincent, atteint du syndrome de Down. Ils se sont mariés et les deux enfants vivent en harmonie, même si la jeune fille et sa belle-mère ne sont pas toujours sur la même longueur d’ondes, adolescence oblige.

Lorsque le livre débute, Maria participe à une soirée amicale. Lorsqu’elle rentre, sa belle-fille a disparu. Mais du sang retrouvé sur la falaise et une lettre d’adieu semblent indiquer que Yasmin s’est jetée dans la mer.

Toute la famille est dévastée.

Deux policiers sont chargés de l’enquête, dont Gunar. Samir est bientôt suspecté, et Maria qui le défendait se met aussi à douter. Et entre eux, Vincent observe et se tait… c’est la seule solution qu’il a trouvée pour se protéger.

Vingt ans après, on retrouve Gunar qui enquête sur le corps d’une femme rejeté par la mer, quasiment à l’endroit de la disparition de Yasmin : s’agit-il de celui la jeune fille ?

Maria, Vincent, Gunar et Yasmin décrivent tour à tour les événements tels qu’ils les vivent et les perçoivent, avec leurs sentiments, leur approche personnelle et ce qu’ils en comprennent. Les deux comédiens qui leur prêtent leurs voix sont remarquables. J’ai particulièrement apprécié la prestation relative au jeune Vincent, qui le rend très touchant.

Au début, j’ai cru avoir compris rapidement ce qui s’était passé. Puis, au fur et à mesure des récits parallèles, je me suis rendue compte que l’histoire était beaucoup plus complexe que ce que je pensais.

Camilla Grebe évoque la famille recomposée, le racisme, le handicap et les interactions entre enquêteurs, victimes et familles des victimes. Au-delà de l’histoire policière, il s’agit donc d’un roman riche en émotions qui explore les ressorts psychologiques des personnages et les conséquences des actes de chacun, réalisés ou manqués : car si l’un ou l’autre avait réagi différemment, une cascade d’événements terribles auraient pu être évités…

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3 secondes

Roslund et Hellström

Traduction Philippe Bouquet et Catherine Renaud

732 pages

Le Livre de Poche, 2020, Mazarine, 2019

Fin de lecture 17 mai 2020

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois de mai.

Dixième livre lu dans le cadre du jury.

3 secondes est le premier opus d’une trilogie, dont les suivants sont : 3 minutes et 3 heures, multirécompensée à l’international.

3 secondes, c’est avant tout une histoire de mensonges.

En effet, à Stockholm, Piet Hoffman est en apparence un homme ordinaire : femme, enfants, travail stable dans la sécurité.

Mais Piet est en fait un délinquant repenti, à la merci de la mafia et de la police. Il infiltre secrètement l’une au profit de l’autre, jusqu’au drame : un acheteur de drogue est tué, et un commissaire de police tenace, Ewert Grens, recherche la vérité. La couverture de Piet risque donc d’être éventée et ses donneurs d’ordre au sein de la police pourraient être mis en cause en raison de ce meurtre.

Piet s’est attaché à sa famille, il craint pour eux. Il se désole des aspects de sa vie qu’il cache à sa femme. Il souhaite tout arrêter.

Mais son contact dans la police lui demande de réaliser la dernière mission imposée par la mafia : il doit mettre la main sur le trafic de drogue au sein même d’une prison. Cependant, à peine incarcéré, les strates du pouvoir qui connaissent sa mission le laissent tomber. Identifié désormais par ses co-détenus comme un traître à la solde des autorités, il ne peut compter que sur lui-même pour s’en sortir… et 3 secondes !

J’ai beaucoup aimé ce roman à la fois lent dans sa mise en place et haletant dans sa suite, très documenté sur l’univers de la drogue et des prisons. Il conte, au-delà de la trame dramatique, le face-à-face à distance de deux hommes solitaires, Piet et Ewert, chacun préoccupé par sa survie, physique pour l’un, morale pour l’autre. On suit les pérégrinations du grincheux et teigneux commissaire, on entre dans sa tête et ses pensées apparaissent en italique dans l’ouvrage.

3 secondes est aussi une critique de l’écœurant jeu de pouvoir au plus haut niveau de l’Etat, qui n’hésite pas à abandonner en chemin ses serviteurs, celle du cloisonnement du travail des services de police et de justice.

J’aime les romans d’espionnage, d’infiltration minutieuse, et j’ai été tenue en haleine par le récit de la lutte entre ces diverses forces et le désir de vivre de cet homme condamné par tous. A la manière d’un scenario, les descriptions sont précises, les détails permettent au lecteur de visualiser les scènes.

Les ingrédients d’un film d’aventures et d’espionnage sont en place : un parfum de « Prison break » et de tulipes, un soupçon de « Mission impossible », la ténacité d’un Columbo ! Avec un petit faible pour l’homme traqué qui ne veut plus jamais mentir à sa famille…

PS : Le film The informer, sorti en 2019, en a été tiré, même si le pitch en est un peu différent : transposé à New York, avec un ancien agent des Forces Spéciales!

Citations

« Pendant 10 ans, il avait tellement menti à Zofia, Hugo et Rasmus et tous les autres autour de lui que, lorsque ceci serait terminé, il aurait déplacé pour toujours la frontière entre le mensonge et la réalité, c’était ainsi, il ne savait jamais où s’arrêtait le mensonge et où commençait la vérité, il ne savait plus qui il était. »

« – Tu n’iras pas plus loin. L’enquête préliminaire est au point mort. Grens, tu sais aussi bien que moi qu’il n’est pas raisonnable de mobiliser autant de moyens pour une enquête qui n’avance pas.

⁃ Je ne lâche jamais un meurtre.

Ils se regardèrent. Ils venaient de deux mondes différents.

– Bon… Qu’est-ce que tu as, alors ?

– Dans une enquête pour meurtres, Ågastam, on ne réduit pas le degré de priorité. Les meurtres, on les résout.»

Annabelle

Lina Bengsdotter

Traduction Anna Gibson

409 pages

Le Livre de Poche, 2020, Hachette Livre Marabout, 2019

Sélection 2020 Prix des lecteurs du Livre de Poche, mois de mars.

Cinquième livre lu dans le cadre du jury.

Fin de lecture 28 mars 2020

A Gullspång, la jeune Annabelle a disparu. L’inspectrice Charlie Lager doit enquêter dans cette petite ville de Suède qu’elle a quittée il y a dix-neuf. Là, le temps semble s’être figé : l’usine où travaillait sa mère Betty est toujours en activité, l’ancienne épicerie sert toujours de repaire pour les fêtes des jeunes où drogue et alcool sont leur meilleur moyen d’oublier qu’ils n’ont pas d’avenir.

Charlie et son collègue Anders, aidés des policiers locaux, interrogent l’entourage de la jeune fille, tandis qu’une autre histoire hante l’enquêtrice : celle de sa propre adolescence, de ses relations conflictuelles avec sa mère cyclothymique, de ses propres rêves d’évasion.

Trois récits – un lointain passé dont on ne devine rien, un passé récent qui est celui qui précède la disparition d’Annabelle, et le présent de l’enquête – ponctuent le livre et explorent chacun, avec précision, des sensations différentes : angoisse, peine, désespoir. Leur ressort commun semble malgré tout être l’amitié, cette relation si précieuse pour chaque protagoniste.

J’ai beaucoup aimé ce livre, car il est bien plus qu’un roman policier. Prenant pour prétexte la recherche de la jeune Annabelle, Lisa BENGSDOTTER livre ici une chronique sociale sans équivoque et empreinte de tristesse sur les villes oubliées de Suède, où l’avenir des jeunes est inexistant.

On se plaît ainsi à suivre Charlie aux confins de ce passé qu’elle se refuse à rejoindre, tout en désirant malgré tout l’affronter : des couleurs fanées de la ville à la lumineuse beauté du lac de son enfance, Charlie s’attache le lecteur par sa profonde humanité.

Un coup de cœur pour ce polar !

Citations

« Pourquoi lis-tu autant, ma chérie ?

Charlie répondait qu’elle lisait parce que ça lui plaisait. Point barre. Elle ne s’aventurait jamais à décrire la sensation que lui donnait la lecture, celle de pénétrer d’autres mondes, de se dépouiller de sa réalité, de devenir quelqu’un d’autre, ailleurs. »