Mon frère, ce zéro

Colin Thibert

239 pages

Pocket, 2021, Éditions Héloïse d’Ormesson, 2020

Fin de lecture 2 juillet 2022.

Attendre une dédicace durant un salon du livre permet de réaliser d’autres rencontres avec des auteurs qui m’étaient inconnus, sinon de réputation, du moins de lecture.

J’ai donc eu le plaisir de lire ce roman déjanté, dans lequel Colin Thibert met en scène des antihéros décidés à mettre un peu de beurre dans les épinards de la pire des façons.

Deux amis, Jean-Jacques, vieux beau – mais surtout fainéant – sur le retour, et Antoine, écolo-idiot, font leur l’idée d’un troisième comparse dénommé Canard, d’enlever le frère jumeau d’un milliardaire, inconnu du grand public – le jumeau, pas le milliardaire, vous me suivez ?-, afin de dévaliser le compte suisse du magnat…

Mauvaise idée… car le jumeau est atteint de démence, et va plutôt compliquer les activités de ses ravisseurs, malgré leur haute opinion d’eux-mêmes.

« Une fois Antoine parti, Jean-Jacques se tourna vers Canard.

⁃ Il est vraiment lourd, des fois.

⁃ C’est pas sa faute, il est né comme ça.

⁃ Je parlais d’Antoine.

⁃ C’est vrai qu’il est con, aussi, Antoine.

Ils rirent de connivence, heureux de se sentir supérieurs. »

Voici donc bientôt nos looseurs, aux moyens et à l’intelligence limités, poursuivis par un détective privé, un agent très secret, né Rostopchine, et la gendarmerie jusqu’en Suisse. De mauvais choix entraînent bien souvent de mauvaises conséquences… mais pas pour tout le monde ! Car d’autres assoiffés cherchent bientôt à empocher le magot.

C’est drôle, rythmé, totalement amoral, les personnages principaux sont désopilants, et les autres, pas mieux. Riches ou pauvres, ils aspirent tous à accroître impunément leur grosse ou petite fortune. J’ai lu ce livre en partie dans les transports en commun, ce qui a amené mon vis-à-vis à lever les yeux à mes gloussements ! Je me disais « oh mais non, pas ça tout de même ! Ah mais si ! »… Les situations sont improbables, les dialogues savoureux, j’ai passé un excellent moment avec ce livre dont j’ai réalisé la parfaite adéquation du sous-titrage en rédigeant cette chronique : « Le bon, la brute et l’abruti »…

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Requiem des ombres

David Ruiz Martin

384 pages

Taurnada Éditions, mai 2022

Fin de lecture le 3 mai 2022

Je remercie les Éditions Taurnada pour m’avoir adressé cet ouvrage en format numérique dans le cadre d’un service presse.

C’est le deuxième opus de David Ruiz Martin que je lis, après le fabuleux Seule la haine.

Ici, l’on découvre Donovan, un cinquantenaire usé par la vie. Romancier à succès, il est accablé depuis son adolescence par la disparition de son frère Virgile, lors d’une agression commune. En 1973, la brume autour du lac de Neuchâtel était si forte et a duré si longtemps qu’elle a, selon la légende, « rendu les hommes fous ». Et surtout empêché Donovan de distinguer les traits de leur agresseur. L’enfant n’a jamais été retrouvé, et sa mort déclarée au bout du délai légal a conduit à enterrer un cercueil vide. Fi pour le deuil !

La famille et la communauté ne se sont jamais remis de ce fait divers.

Donovan s’est exilé à Paris, a construit sa carrière. Mais à cinquante-six ans, sa volonté de faire la lumière sur la disparition de Virgile reste farouche. Et surtout, depuis la mort de son père honni du faut de son tempérament violent, Donovan a le syndrome de la page blanche. Il sent qu’il doit en finir avec son passé. Alors, sans prévenir personne, le romancier revient sur les lieux sombres de son enfance.

« La maison me paraissait telle que je l’avais quittée trente-huit ans plus tôt. Sa façade hostile trahissait la rancœur et l’air ambiant semblait toujours exhaler des relents de haine. »

Il retrouve des policiers qui ont mené l’enquête à l’époque, sans succès, son meilleur ami Aaron, la douce infirmière qui l’a materné lorsqu’il s’est retrouvé hospitalisé, et fait la connaissance d’une mystérieuse jeune femme, Iris. Détentrice d’un don prémonitoire, Iris fascine Donovan. Elle seule peut l’aider à démêler son passé et peut-être entrevoir l’avenir.

Cependant Iris est profondément affectée par son don : connaître le futur l’attriste, car elle ne peut qu’accepter ce qui arrivera à ceux qu’elle rencontre. Elle ne peut l’influencer.

Si Donovan n’était pas revenu, la vérité n’aurait pas éclaté. Mais cela aurait sans doute évité d’autres morts…

C’est un thriller bien sûr, mais c’est surtout le drame d’une vie et la recherche de la vérité aux moyens peu conventionnels qui sont mis en exergue par l’auteur. Il y dénonce le système judiciaire qui empêche la poursuite des enquêtes et dénie aux familles de disparus la possibilité d’accomplir leur deuil.

« (…) Comment appelez-vous le fait d’obéir à des lois aberrantes au détriment d’un enfant disparu ?

– Un moment d’égarement, dit-il à court d’arguments.

– Alors je dis que vous manquez sacrément de vocabulaire ! »

Cet échange montre également la dose d’humour cynique saupoudré ici et là dans l’ouvrage, sans doute nécessaire pour détendre un peu le lecteur. Car l’ambiance est évidemment très sombre, entre le romancier alcoolique et dépressif et les violences qui l’entourent dès qu’il commence à approcher de la vérité.

Ce que j’ai moins aimé, mais c’est sans doute dû à mon côté pragmatique, est l’aspect un peu fantastique avec le personnage d’Iris et ses visions, qui fascinent tant notre héros. Même si cela ajoute une petite réflexion philosophique sur les conséquences des décisions que chacun prend.

Ce qui se joue, c’est l’emprise de l’être sur sa propre vie, s’il croit au destin : peut-on vraiment changer ce qui a été écrit ?