
Tara Westover
Le Livre de Poche, 2020, Éditions Jean-Claude Lattès, 2019
Fin de lecture 16 septembre 2021.
Ma fille a lu la version audio en anglais de cet ouvrage et m’en a parlé. Ses commentaires sur cette autobiographie m’ont donné envie de le lire à mon tour, et j’ai acheté ainsi la version papier.
« « L’université, c’est de l’école en plus pour des gens qui sont trop bêtes pour apprendre du premier coup », a lâché papa. »
Le ton est donné. Le père de Tara a des idées très arrêtées sur l’école, la médecine, l’application des règles sociales édictées par le gouvernement américain. C’est assez logique au regard de ses croyances mormones, mais cela n’explique pas tout.
Dans cet exposé de sa vie familiale, Tara Westaver ne règle pas de compte, elle rend compte de ce que fut sa vie dans la ferme de l’Idaho dans les années quatre-vingt, et de son souhait de la quitter.
Ça se passe à la fin du vingtième siècle et non pas au Moyen-Age.
Et pourtant, le tableau dressé est majoritairement noir : de la graisse de la décharge de ferraille exploitée par le père, des propos et comportements violents de l’un des frères, Shawn, du constat de la pauvreté des connaissances de Tara.
Dans cette ferme, les femmes sont reléguées à la cuisine. Les garçons aident leur père. Nulle instruction, elle se fait « à la maison »… ou elle ne se fait pas. La mère devient sage-femme, puis peu à peu l’apothicaire reconnue du coin. Car les médicaments et les médecins sont proscrits. Malgré tout, la télévision et le téléphone sont présents.
Mais si le père applique de façon radicale les préceptes de Joseph Smith, il est surtout affecté par une maladie mentale qui l’amène à craindre par-dessus tout l’intervention gouvernementale. Il accumule donc en vue de la fin du monde.
Élevés dans cette optique, il est difficile pour les enfants de se projeter hors de leur ville.
Mais Tara, comme certains de ses frères, et sans renier son appartenance religieuse, veut s’émanciper du joug paternel et des violences physiques et psychologiques que lui fait subir Shawn. Courageuse, elle va effectuer des petits boulots, travailler d’arrache-pied pour réussir des examens auxquels elle ne croit guère pouvoir prétendre. Et surtout auxquels on la décourage de se rendre.
Le syndrome de l’imposteur la suivra très longtemps. Jusqu’à Cambridge, Harvard… tant qu’elle remet les pieds chez elle. Car Tara ne se sent à sa place nulle part, finalement.
Tout son témoignage est ainsi marqué par le difficile choix entre garder ceux qu’elle aime et construire une vie qu’ils désapprouvent. Tiraillée, frustrée, anéantie. Jusqu’à ce qu’elle décide par elle-même de ce qui fera son salut.
S’il s’agissait d’un roman, on se dirait « quelle imagination, mais c’est un peu trop tiré par les cheveux » ! Sauf qu’il s’agit de la réalité, telle que l’a perçue Tara, avec son souci tout au long de son récit de rétablir la vérité sur ses souvenirs à l’aune de ceux des membres de la famille. Et tout ce qu’elle a relaté au fil des ans dans ses carnets, pour se convaincre et ne pas oublier.
C’est remarquablement écrit. Facile d’accès. Une histoire épouvantable par moments, avec quelques points lumineux, entretenus par l’espoir continu de Tara de rétablir des relations normalisées avec ses proches. Une histoire dans l’Histoire aussi, assez incroyable dans l’Amérique d’aujourd’hui.
Je l’ai lu en plaignant cette enfant puis la jeune femme qu’elle est devenue. Mais j’éprouve surtout une grande admiration pour sa volonté et sa persévérance, au-delà de ses failles bien naturelles.
Un témoignage consternant et étonnant, voire bouleversant.