17 PIGES – récit d’une année en prison

Scénario Isabelle Dautresme

Dessins Bast

128 pages

Éditions Futuropolis, février 2022

Fin de lecture le 7 janvier 2023

Ce livre m’a été conseillé dans le cadre d’un club de lecture organisé par la médiathèque que je fréquente.

Ben a dix-sept ans. Assidû au lycée, avec de bons résultats, il prépare le bac de français. Mais la police vient l’arrêter alors qu’il est en cours.

Incarcéré au quartier des mineurs de Fleury-Mérogis, et malgré son incompréhension face aux faits qui lui sont reprochés, Ben montre tout d’abord une certaine bonne volonté. Il participe aux cours proposés par l’équipe éducative, se tient relativement tranquille. Malgré les propositions, les bagarres, le bruit constant, les crises de manque d’autres détenus.

Cependant, sa situation se dégrade peu à peu. La date de son procès n’est jamais fixée. Manque d’espoir, mauvaises fréquentations, délaissement de soins corporels, honte pour sa famille. En quelques mois, l’adolescent se transforme. Physiquement aussi. Violence et peur deviennent son quotidien. Jusqu’au transfert en quartier des majeurs.

Les deux auteurs, journaliste spécialisée dans l’éducation pour l’une et animateur d’un atelier BD dans une prison pour mineurs pour l’autre, connaissent leur sujet. L’histoire ne contient que des faits. Pas de pathos. Même si l’on peut se prendre d’empathie (relative) pour le jeune garçon qui nie son implication dans ce qui lui est reproché.

L’affaire judiciaire est ici presque secondaire, anecdotique. L’objectif du roman graphique est de montrer les modifications induites par l’enfermement d’un jeune de moins de dix-huit ans dans des conditions éprouvantes pour un psychisme en formation et l’échec, chiffres à l’appui, des réformes menées jusqu’alors. Le riche dossier documentaire inclus est édifiant. Sans remettre bien évidemment en question la nécessaire sanction de faits délictueux ou criminels, l’ouvrage propose une réflexion sur leurs modalités d’infliction aux mineurs, dont la majorité s’endurcissent en prison et reviennent ensuite grossir les rangs des majeurs incarcérés. La réflexion est appuyée par les propres ressentis d’impuissance exprimés par les éducateurs :

« Sous prétexte qu’il a fait une connerie, on l’enferme ici avec des jeunes 10 fois plus violents et dangereux que lui… (…) Il est où l’éducatif, là ? À quoi on sert nous ? »

Le dessin sert le propos. Les couleurs relativement monotones montrent la routine et l’ennui qui s’observent dans ces vies à l’écart. Trois planches m’ont particulièrement marquée. La première, page 8, dont le dessin orne entièrement la page, représente la prison, qui semble si imposante, voire écrasante. Les deux autres, pages 54 et 55, lorsque Ben est enfermé au mitard, où les murs, dessin après dessin, se rapprochent, jusqu’à l’étouffer, confirmant son ressenti face à l’enfermement.

Un livre bien construit, marquant. Utile.

En lice pour le Prix lycéen « Social BD’2023 ».

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Igonshua ou Jamais sans eux

Eric-Delphin Kwégoué

56 pages

Lansman Editeur, 2019

Fin de lecture 13 août 2022.

Un peu de théâtre en ce mois d’août, avec ce livre chiné lors de la Fin de partie de la Compagnie Issue de Secours en résidence à La Ferme Godier de Villepinte jusqu’en juin 2022.

Igonshua a reçu le Prix 2017 inédits D’AFRIQUE ET OUTREMER.

Au sein d’une maisonnette, à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, un couple, Iko, pêcheur de sable et Stella, sa femme.

En cette soirée où tous deux sont couchés tôt à cause du couvre-feu, ils recueillent une jeune femme éplorée, Igonshua, avec sa petite fille de sept mois. Elle a assisté au rapt de son fils et de son mari, a elle-même été victime de violence. Les militaires rôdent autour dans le village.

En quelques dialogues entre les personnages et une cinquantaine de pages, tout est dit : les dissensions, voire la haine entre ethnies des deux côtés de la frontière, les exactions, les enjeux relationnels au sein des familles, la place de l’homme et de la femme au sein du couple, le poids des traditions, l’amour maternel, le désir d’enfants qui peut faire tout basculer, l’incompétence et l’injustice des gradés omnipotents… Quel tour de force !

Le texte est puissant, sans temps mort.

« J’entends comme une révolte… comme une nouvelle peste… Le peuple hurler de peur… Car les conflits divisent. J’entends le bruit sourd des stylos huppés signer les parchemins de la honte à la place de la majorité patriotique. »

Le drame se joue, implacable. Les monologues de Stella en mal d’enfants et ceux d’Ingonshua évoquant ses malheurs sont poignants. On scande les mots, même en lecture silencieuse, et on se représente aisément les scènes dont le décor minimaliste met en valeur le texte et les personnages.

Je regrette désormais de ne pas avoir eu l’occasion de voir jouer cette pièce… mais certainement pas d’avoir découvert le texte et son auteur !

Le sang de Manchester

Vincent Radureau

396 pages

Hugo Poche, collection Suspense, mai 2022

Fin de lecture 6 juin 2022.

Je remercie les Éditions Hugo pour m’avoir adressé cet ouvrage dans le cadre d’un service presse.

J’avais découvert Vincent Radureau en qualité d’écrivain avec Le dernier match de River Williams. J’avais aimé ce thriller qui se déroulait sur fond de sport.

Le nouvel ouvrage de l’auteur, journaliste sportif, n’y déroge pas. Mais il y développe des qualités littéraires qui m’ont permis de l’apprécier plus encore.

Bien évidemment, quand on parle de Manchester, si l’on est féru d’histoire contemporaine, on voit la deuxième ville d’Angleterre, ouvrière et profondément marquée par les années Thatcher. Mais si l’on aime le football, cela évoque l’éternelle (ou presque) rivalité entre City et United, les deux clubs ennemis de la cité mancunienne.

Bleu. City.

Rouge. United.

Deux couleurs que tout oppose, deux couleurs qui font se rassembler des supporters survoltés dans les stades, où seul compte l’envoi d’un ballon rond au fond des filets… de l’adversaire, bien sûr !

« C’était dans leur sang, c’était leur patrimoine, leur héritage, leur vie. (…) C’était ainsi : en Angleterre, on ne plaisantait pas avec la fidélité aux clubs de football. On pouvait tromper sa femme cent fois, mais pas son équipe. »

Vincent Radureau bâtit donc son roman sur l’ostracisme et la violence qui oppose les clubs et leurs spectateurs.

A une semaine du derby, finale de la League, alors que les deux formations sont à égalité de points, deux corps sont découverts lors d’un chantier situé à l’emplacement de l’ancien stade de City. Deux corps entrelacés. L’un porte un maillot bleu. L’autre un maillot rouge.

Il n’en faut pas plus pour déchaîner les foules : agitateurs de réseaux sociaux ou journalistes peu scrupuleux avides de scoop, hooligans réservés dans les stades mais actifs en dehors, la violence s’invite dans Manchester… jusqu’au décès d’un habitant.

« Ils hurlaient comme des barbares dans une lutte ancestrale, Saxons contre Vikings, Anglais contre Normand. Pourtant ils étaient bien tous de la même engeance ; ils se ressemblaient tous, ce qui rendait la scène encore plus aberrante. »

La toute nouvelle capitaine Molly Doherty, irlandaise dans une ville anglaise, doit identifier les victimes et, le cas échéant, les coupables. Secondée par ses deux lieutenants Fergus Pennycook et Stuart Summerbee, eux-mêmes supporters des équipes rivales mais sans acrimonie, Molly peut compter sur leur connaissance de la ville et du milieu sportif.

Voici une enquête haletante, en raison de l’espace-temps proposé, des allers-retours entre 2021 et le passé, nourri de refrains inoubliables (la playlist se situe en postface). L’écriture a gagné en profondeur, les descriptions transportent le lecteur tant dans la foule rieuse des badauds aux abords du stade que dans les tribunes hurlantes, tant dans les tristes maisonnettes que dans les pubs surchauffés.

L’expertise de l’auteur dans son domaine de prédilection permet de relater avec précision les côtés pile et face du monde du football : pression et doutes dans les vestiaires, antagonisme proche de la haine, dérives à l’intérieur comme à l’extérieur. Milieu populaire contre nantis, quartiers bas contre centre ville, capitaine contre capitaine, Bleus contre Rouges.

J’ai trouvé ce roman bien construit et ai été touchée par ces gamins des quartiers populaires dont la seule envie initiale était de taper dans un ballon…

L’horizon d’une nuit

Camilla Grebe

Lu par Marie Bouvier et Philippe Spiteri

11 H 23

Audible, mars 2022

Fin de lecture le 19 mai 2022.

Et hop, un nouveau livre audio.

Et hop, un autre polar. Camilla Grebe, une valeur sûre pour maintenir le suspense.

Dans ce one-shot, l’autrice met en scène une famille recomposée : Samir, médecin franco-marocain, et sa fille Yasmin ont émigré de France en Suède après le terrible accident qui a coûté la vie à la mère et à la sœur de la jeune fille. Samir y a rencontré Maria, mère du jeune Vincent, atteint du syndrome de Down. Ils se sont mariés et les deux enfants vivent en harmonie, même si la jeune fille et sa belle-mère ne sont pas toujours sur la même longueur d’ondes, adolescence oblige.

Lorsque le livre débute, Maria participe à une soirée amicale. Lorsqu’elle rentre, sa belle-fille a disparu. Mais du sang retrouvé sur la falaise et une lettre d’adieu semblent indiquer que Yasmin s’est jetée dans la mer.

Toute la famille est dévastée.

Deux policiers sont chargés de l’enquête, dont Gunar. Samir est bientôt suspecté, et Maria qui le défendait se met aussi à douter. Et entre eux, Vincent observe et se tait… c’est la seule solution qu’il a trouvée pour se protéger.

Vingt ans après, on retrouve Gunar qui enquête sur le corps d’une femme rejeté par la mer, quasiment à l’endroit de la disparition de Yasmin : s’agit-il de celui la jeune fille ?

Maria, Vincent, Gunar et Yasmin décrivent tour à tour les événements tels qu’ils les vivent et les perçoivent, avec leurs sentiments, leur approche personnelle et ce qu’ils en comprennent. Les deux comédiens qui leur prêtent leurs voix sont remarquables. J’ai particulièrement apprécié la prestation relative au jeune Vincent, qui le rend très touchant.

Au début, j’ai cru avoir compris rapidement ce qui s’était passé. Puis, au fur et à mesure des récits parallèles, je me suis rendue compte que l’histoire était beaucoup plus complexe que ce que je pensais.

Camilla Grebe évoque la famille recomposée, le racisme, le handicap et les interactions entre enquêteurs, victimes et familles des victimes. Au-delà de l’histoire policière, il s’agit donc d’un roman riche en émotions qui explore les ressorts psychologiques des personnages et les conséquences des actes de chacun, réalisés ou manqués : car si l’un ou l’autre avait réagi différemment, une cascade d’événements terribles auraient pu être évités…