Grande couronne

Salomé Kiner

287 pages

Christian Bourgois Éditeur, 2021

Fin de lecture 26 octobre 2021

Conseillé dans le cadre d’un club de lecteurs « Rentrée littéraire ».

Âmes sensibles, passez votre chemin ! Car Salomé Kiner, journaliste suisse, invite à entrer dans la grande couronne parisienne, et plus précisément dans le Val d’Oise, par une porte dérobée.

La narratrice, dont le prénom restera inconnu, a presque quatorze ans en cette année 1999. Elle vit en banlieue, son univers ce sont sa famille, ses copines, ses études.

« Mes parents n’étaient pas vraiment pauvres. Ils avaient simplement d’autres principes éducatifs. Les lentilles de couleur n’étaient pas indispensables à leurs yeux. Ma mère n’aimait pas les fast-foods. Mon père interdisait le maquillage à la maison. »

Son ambition ? Devenir hôtesse de l’air chez Air France. Alors elle travaille bien à l’école. Mais elle voudrait plus dès à présent.

« C’était pas les goûters de ma mère qui me posaient problème. Il y en a même que j’aimais bien. Mon problème, c’était les autres. Ça a toujours été les autres. »

La jeune fille est prête à tout pour se faire de l’argent de poche et pouvoir se payer le dernier sac ou la dernière paire de chaussures à la mode. Alors, elle décide de se prostituer. Et le réseau vient à elle, au cœur même du lycée.

Mais elle est toute jeune, n’a aucune expérience de la vie en général et encore moins de la sexualité, et si sa volonté est en effet de gagner de l’argent au plus vite, la réalité est beaucoup plus sordide que ce qu’elle croyait.

Elle finit par considérer qu’elle exerce un vrai travail, auquel l’initie une collègue un peu plus âgée, dont elle devient l’amie.

En parallèle, sa famille s’effondre après le départ du père. Sa sœur aînée quitte également le domicile, et comme leur mère sombre dans la dépression, la jeune fille doit donc prendre soin de ses jeunes frères et de la maison.

Personne ne connaît sa vie parallèle, qu’elle s’efforce de cacher car elle en a honte et craint son père. Mais elle n’arrive pas non plus à s’arrêter, tant cet argent de poche lui permet de se maintenir au niveau de ses camarades… au moins pour un temps ! Car cette course à l’apparence est trompeuse et éminemment futile…

C’est un roman que j’ai lu comme un document, pour ne pas me laisser submerger par des émotions contradictoires. Certains passages sont évidemment crus, mais de l’ensemble émane surtout une certaine tristesse.

Tristesse sur le fond, mais pas dans la forme, car certaines remarques candides sont très drôles.

« À l’école primaire, la mère d’une fille était morte du cancer parce qu’elle avait trop attendu avant d’aller voir le médecin. Elle se plaignait du ventre mais elle était débordée au travail comme à la maison. Ils appellent ça le surmenage, c’est quand à force d’assumer le ménage des autres ont fini par se noyer dedans, faire des ulcères, et c’est là qu’on rajoute des préfixes à débordement. »

Voici le portrait d’une certaine adolescence contemporaine, à la fois trop mature quand elle doit prendre la place d’un parent défaillant et d’une telle puérilité face aux actes graves auxquels elle se soumet pour quelques euros.

On se demande où sont les adultes, quelle est leur part de responsabilité ? Même si certains s’essayent évidemment à alerter les jeunes :

« La moitié de la classe portait des faux Lacoste, l’autre moitié du vrai Chipie, la prof voulait nous faire parler de l’apparence, jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour pouvoir ressembler aux autres ? »

Un très bon premier roman, dans lequel l’autrice se met littéralement dans la peau de la jeune fille, transmet ses pensées et ressentis de telle manière qu’on en oublie qu’elle est évidemment plus âgée. Je l’ai lu d’une traite, pour conjurer l’amertume, ne pas m’arrêter aux détails répugnants, mais je resterai à coup sûr imprégnée de cette histoire humaine très longtemps.