Neuf parfaits étrangers

Liane Moriarty

508 pages

Albin Michel, 2020

Fin de lecture 12 mai 2023

On m’a donné ce livre, il traînait depuis quelques temps dans ma bibliothèque. Évidemment l’auteure ne m’était pas inconnue, mais je n’avais jamais ouvert un de ses ouvrages.

Je ne regrette pas de l’avoir fait.

On a tous à un moment ou l’autre de notre vie l’impression que celle-ci nous échappe. Qu’il s’agisse de difficultés familiales, conjugales, professionnelles, ou juste un mal-être qui s’installe sans raison apparente.

Pour vous aider, des temples du bien-être ont été érigés, à grand renfort de cures dépuratives et reconstructives hors de prix, histoire de vous mettre en plus sur la paille !

En Australie, Tranquillum House est un de ces endroits où quelques privilégiés peuvent se ressourcer. Neuf personnes s’y retrouvent donc, inconnus appelés à partager une dizaine de jours de soins et de régénération sous l’égide attentive de Masha.

Mais celle-ci a décidé de tenter une expérience particulière avec ses nouveaux hôtes : la promesse du slogan publicitaire de changer leur vie sera tenue au-delà des espérances de la directrice !

Frances, auteure de romans sentimentaux, Ben et Jessica, un jeune couple, Napoleon, Heather et leur fille Zoe, Carmel, maman dépassée, Tony et enfin Lars.

Chapitre après chapitre, le lecteur découvre les célibataires, couples ou famille qui ont été attirés par ce besoin de renouveau. Ils viennent avec leurs soucis, sont remplis de préjugés envers les autres, et vont apprendre à se connaître dans des situations peu conventionnelles.

« Frances n’avait jamais adhéré à l’idée que la beauté est en chacun de nous, un lieu commun que seules les femmes avaient besoin d’entendre, car pour un homme, nul besoin d’être beau pour se sentir un homme. »

Ce livre est addictif : de courts chapitres dévoilent les pensées et enjeux de la cure de chacun des hôtes, ainsi que les curieuses méthodes des soignants… je l’ai lu quasiment d’une traite, tant les histoires individuelles et communes rendent les personnages attachants. L’humour et la critique d’une société des apparences sont omniprésents. Sans oublier bien sûr le volet « thérapie » qui dénonce cette surenchère de gourous plus ou moins diplômés qui promettent monts et merveilles…

Un régal !

Que celui qui n’a jamais tué me jette la première pierre

Vincent Baguian

220 pages

Éditions Plon, 2023

Fin de lecture le 18 avril 2023

J’avais vu ce titre passer sur les réseaux sociaux, il m’avait fait de l’œil, notamment grâce à sa couverture particulière. A l’instar d’un tapissage d’enquête policière, une série de photographies est disposée, dont certaines marquées d’une grande croix rouge. Photographies de personnes plus ou moins connues…

Lorsqu’il a été présenté lors du club de lecteurs auquel je participe, j’ai donc retenu ce livre pour ma toute prochaine lecture.

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Le docteur Victor Baunard, médecin généraliste installé à La Ciotat, est très apprécié de ses patients.

Sans doute le seraient-ils moins s’ils connaissaient la propension du gentil docteur à éliminer ceux qu’il considère comme des parasites.

En effet, Victor a décidé très jeune qu’il ne lui fallait aucune contrainte.

Roublard mais méticuleux, avec son impassibilité de joueur de poker, le médecin invente mille stratagèmes pour ne pas se faire prendre dans la quête d’assainissement de l’humanité qui est la sienne.

« Je n’ai aucun goût pour le superflu. Mais je jouis, en revanche, sans relâche de tous les plaisirs gratuits de l’existence. Ils sont si nombreux et le temps imparti est si court. Il n’y a par exemple rien de plus épanouissant pour moi que d’ordonner le monde qui m’entoure comme je l’entends ; en fonction du bien et du mal. »

Son œuvre l’amène à côtoyer et rendre la monnaie de leur pièce autant à des notables qui cachent leurs vices qu’à des malfrats, dans le but de se protéger lui-même, mais également sa compagne Framboise et leur fils Gabriel.

Avec sa morale particulière, le narrateur offre un plaidoyer pour la liberté de penser et d’agir… sans se faire prendre, naturellement !

J’ai aimé le ton totalement décalé, je l’ai lu avec un grand sourire, sans cautionner bien évidemment ces graves atteintes à la loi… Fiction, fiction ! Avec un avertissement cependant au regard des scènes intimes très explicites.

Azincourt par temps de pluie

Une couverture à l’image du contenu de l’ouvrage ! ©️ CF 19 mars 2023

Jean Teulé

205 pages

Mialet-Barreau, 2022

Fin de lecture 18 mars 2023

Il y a bien longtemps que je voulais me plonger dans un nouvel ouvrage de l’auteur à la plume si particulière. A la faveur de mon club de lecture sur le roman/polar historique, j’ai vu ce titre exposé et hop, le voilà lu !

La bataille d’Azincourt m’avait échappée. Si je suis férue des événements ultérieurs au seize siècle, j’avoue mon manque d’intérêt et donc mon ignorance sur la majorité de ceux qui concernent les années précédentes, même si quelques bribes me reviennent de temps à autre.

Vive donc la lecture, qui permet d’entrer directement sur le champ de bataille par un biais différent.

Azincourt se situe dans ce qui est dénommé aujourd’hui Baie de Somme, plus précisément dans l’Artois. Les Anglais venus de Rouen ne songent qu’à échapper à leurs poursuivants français et à regagner via Calais leur « home sweet home » après des défaites ayant entraîné de grosses pertes humaines.

Mais les Français se refusent à les laisser quitter le territoire : il faut les exterminer. Et Azincourt est tout à fait indiqué : les habitants ont fui, les Anglais sont encerclés. Soucieuse de plaire à son roi et surtout désireuse d’obtenir l’exonération d’impôts promise par le souverain, toute l’aristocratie française se presse vers le lieu et festoie largement en prévision de cette bataille dont l’issue est totalement certaine.

« L’ensemble des seigneurs [m’a] amené près de trois mille [albalétriers]. C’est plus qu’il n’en faut. L’affaire sera vite réglée avec eux en première ligne. »

Même lorsque l’émissaire du roi Henri V d’Angleterre propose la paix, les princes la refusent :

« Toute l’Europe se gausserait de l’immense prestigieuse armée française qui viendrait faire grand bruit au bord d’un champ de bataille puis fuirait. Maintenant qu’on est là… Et quand même, armés jusqu’aux dents, nous sommes cinq fois plus nombreux qu’eux alors ça va aller… »

La seule qui s’interroge sur le bien-fondé de cette bataille et sur les conditions de préservation du matériel d’assaut est une femme, Fleur-de-Lys, prostituée qui accompagne les Français sur tous les lieux de guerre. L’avenir lui donnera entièrement raison…

Car prise en tenaille entre deux forêts, massée en bas de la colline ravinée par l’eau, l’armée française va se faire laminer par son adversaire.

D’une bataille de trois jours de David contre Goliath, Jean Teulé peint une fresque épique. Il montre, détails et dessins à l’appui, comment la bêtise des aristocrates français attachés à leur charte guerrière dépassée, leur manque d’anticipation et leur sotte présomption les ont mené à perdre la partie. A contrario, les Anglais galvanisés par leur roi Henri V, rendus hargneux par la peur de mourir, l’alcool et le manque de nourriture, se sont transcendés.

C’est évidemment très violent, et bien souvent cru, mais aussi très intéressant sur le plan tactique. Les descriptions précises dépeignent la scène comme si on y était, les pieds dans la boue et la pluie sur le reste. Avec sa verve et son humour noir, l’auteur place quelques mots de vieux françois et anglois, et quelques critiques bien senties de la seule femme à l’encontre de la gente masculine.

Je me suis régalée !

Disco Queen

Stéphanie Janicot

234 pages

Albin Michel, 2023

Rentrée littéraire janvier 2023

Fin de lecture 21 février 2023

Conseillé par la libraire venue présenter quelques livres de la rentrée littéraire à la médiathèque, il s’agit du seul roman un peu « feel good ».

Soizik, sexagénaire proche de la retraite est hospitalisée suite à un infarctus. Elle découvre qu’une affection plus grave risque de l’emporter plus vite qu’elle ne l’aurait souhaité, et décide de rédiger une sorte de roman autobiographique, dont elle donne les chapitres à lire à ses filles au fur et à mesure.

On y mesure combien sa vie a été tracée par la lignée familiale :

« C’est un curieux début dans l’existence que de naître de parents tristes. La mort s’engouffre dans les nombreux creux de l’enfance. Si j’ai apporté de la joie, du mouvement, de l’impromptu dans ce foyer endeuillé, j’en ai hélas reçu l’inquiétude et le sens de la fatalité. »

Or, afin de sortir de son destin, et de mettre en garde ses propres filles du risque de tomber dans une certaine routine, Soizik imagine dans son roman créer au sein de sa propriété un bistrot et une discothèque consacrée à la musique disco, et d’y convoquer John Travolta !

Ses filles, soucieuses de rendre la fin de vie de leur maman un peu plus douce, vont tout mettre en œuvre pour réaliser son projet imaginaire, dans le plus grand secret. Et c’est ainsi que le village entier s’échine durant la fin de séjour à l’hôpital.

Tandis que la maman imagine, les filles construisent. Et peut-être pas simplement un lieu de rencontre, mais une certaine idée du bonheur.

« S’il lui restait une chose à réussir enfin, avant de disparaître pour de bon, c’était exactement ça : atteindre ce point de légèreté, cette bulle dans laquelle la fatigue n’existe plus, où les palpitations sont celles de la joie, non plus celles de l’angoisse, où le sourire devient l’état naturel du visage et l’esprit, un ballon d’hélium attiré vers les cimes. »

J’ai beaucoup aimé l’alternance des pages du roman de Soizik et celles de la narration des événements réels. La distinction est facilitée par une police de caractère différente. Sur le fond, Stéphanie Janicot propose une réflexion mélancolique sur les choix de vie, mais démontre également la capacité de l’amour à porter les rêves vers la réalité. Et s’il suffisait de se parler, de penser un peu différemment pour modifier la perception des personnes et des événements ?

J’ai trouvé formidable cette idée de transmission d’une mère à ses enfants. Les sujets évoqués sont ceux de notre époque, traités de façon distanciée et simple mais pas simpliste via le roman, ils prennent toute leur importance dans les faits.

Voici un très joli moment de lecture.