L’Autre Ahmed ou L’Attente

Charlotte Cayeux

141 pages

Éditions Chèvre-feuille étoilée

Fin de lecture 7 novembre 2021

Je n’ai aucun lien avec Charlotte Cayeux. Son nom m’était inconnu. Mais j’avais suivi cette histoire de la disparition subite de son amoureux par le biais d’une connaissance commune. Nous nous étions d’ailleurs interrogés ensemble sur sa signification.

Alors j’ai été évidemment intéressée de découvrir le récit que la principale protagoniste a fait de cet événement.

Charlotte Cayeux décrit sa rencontre avec Ahmed. Tous deux aiment le cinéma, les courts-métrages qu’ils souhaitent réaliser au-delà de leurs jobs purement alimentaires. Ils sont tous les deux adultes, ont eu des expériences de vie. Alors c’est avec une certaine sérénité que leur couple se forme.

Charlotte a cependant quelques interrogations : cet homme exubérant ne dévoile rien de sa vie précédente, semble quelquefois « ailleurs ». Il lui arrive de se livrer, évoquant brièvement une instabilité d’humeur qu’il nomme « paranoïa ».

« Il m’entraînait quand j’aurais eu la flemme. Il m’encourageait à écrire, à travailler. Il me tirait vers le haut. Et pourtant, bien tapis derrière cette apparence, je le sentais toujours, insidieux, insaisissable, prêt à revenir lorsque j’aurais le dos tourné : l’Autre. »

Charlotte exprime ses doutes, mais rien ne l’effraie vraiment dans l’attitude d’Ahmed. Il est aux petits soins avec elle, elle fait taire ses questions.

Même si quelquefois, son attitude la met en colère.

« Derrière mes grands discours libertaires et l’amour libre donc je fais si bien l’apologie, je me découvre des désirs tyranniques, je rêve qu’il m’appartienne. Cette colère contre moi-même je la retourne contre lui. »

Puis, au retour de merveilleuses vacances italiennes, après un an de relation, Charlotte attend vainement un appel, un message de son homme, alors qu’ils doivent se retrouver pour dîner.

La jeune femme imagine le pire : il l’a laissée tomber, il a eu un accident, il s’est suicidé, … Elle interroge leur réseau : nulle réponse. Hôpitaux, appartement, … Ahmed est introuvable. Charlotte se rend donc au commissariat pour signaler sa disparition : elle apprend que le jeune homme est incarcéré.

Débute alors l’attente, les visites en prison, la relation à maintenir malgré la distance. La prise de conscience du bonheur passé, la peur de l’avenir.

« Je pense au temps où on avait le temps, et que le bonheur on ne le ressent pleinement que lorsqu’il est passé. Et je crains confusément que lorsqu’il sera revenu, on ne sache plus alors le ressaisire. Destiné à être toujours une image fuyante, un souvenir idéalisé ou une anticipation. (…) Je me demande comment ce sera quand il sera sorti, si nous serons capables de coïncider parfaitement avec le présent, de sentir notre chance sans rien laisser y faire obstacle. »

J’ai beaucoup aimé ce récit. Je ne suis pas particulièrement adepte des courts-métrages, mais j’ai été intéressée par les informations et difficultés des auteurs/réalisateurs/scénaristes à mettre en place les conditions permettant d’exercer leur passion… et accessoirement de gagner leur vie.

On y comprend aussi toute la difficulté d’appréhender les affections psychiatriques en termes judiciaires : quelle est la responsabilité réelle, quelle est la peine appropriée pour une personne atteinte de ces troubles ? Sans nier la réalité des faits reprochés, l’autrice amène le lecteur dans sa propre réflexion.

La plume de Charlotte Cayeux expose en effet parfaitement ses doutes et ses sentiments. Et bien entendu, les descriptions sont très « visuelles ». Le récit se lit avec plaisir, sans aucun temps mort.

Si l’autrice souhaite persister dans l’écriture et lâcher sa caméra, nul doute qu’elle rencontrera un autre public !

Une réflexion sur « L’Autre Ahmed ou L’Attente »

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