Impressions et lignes claires

Edouard Philippe et Gilles Boyer

257 pages

Éditions Jean-Claude Lattès, avril 2021

Fin de lecture 1er mai 2021 (ça ne s’invente pas !).

En préambule, je confirme, s’il en était besoin, l’apolitisme de ce blog et la neutralité idéologique de la chronique qui suit.

L’occasion m’a été donnée, par hasard, de bénéficier d’un exemplaire numérique du livre écrit par Edouard Philippe et Gilles Boyer. J’avais vu une interview télévisée de l’ancien Premier ministre et m’étais dit que cela pourrait m’intéresser, car j’aime la petite histoire de l’Histoire… tout en me méfiant a priori des biais politiques et de l’écriture que je risquais d’y trouver, que j’imaginais trop pontifiante.

Que nenni ! J’ai tout de suite été embarquée dans cet ouvrage, dont l’écriture est à la fois riche des sujets traités et du vocabulaire employé, et simple dans son expression. Et j’ai été passionnée par le récit sans fard de l’exercice du pouvoir, en passant, telle Alice, De l’autre côté du miroir…

Edouard Philippe et Gilles Boyer, en n’utilisant toujours que le « nous » ou l’impersonnel « il », content d’abord leur rencontre scellée en 2002 autour d’Alain Juppé, puis leur amitié qui ne se dément jamais, malgré les remous et les alliances différentes. Ils évoquent leur « passion » pour le droit, celui qui permet l’usage des institutions même lorsque tout va mal, et leur sérieux penchant pour des références historiques de locataires de sièges présidentiels ou ministériels, français ou étrangers (Churchill ayant leur prédilection). En bref, ils démontrent que l’exercice du pouvoir peut faire peur, voire terrifier, qu’il ne s’invente pas et que les ministres dont on se souvient sont ceux qui ont réussi à « incarner » pleinement la thématique qu’ils défendaient.

« Voilà bien quelque chose que toutes ces années et toutes ces expériences nous ont appris : gouverner ne s’apprend que lorsqu’on comprend que gouverner est un apprentissage permanent. »

« La peur, c’est ce qu’on ressent avant la tempête. Ou après. Lorsque vous êtes dedans, vos mains sont sur la barre, vous ne pensez qu’à faire au mieux. »

Dans cet ouvrage très documenté – et qui donne donc envie à la fois de lire et de regarder quelques séries bien pensées – les deux comparses évoquent la difficulté de l’exercice du pouvoir, notamment sous la pression des médias et des réseaux sociaux, quand une bonne administration devrait pouvoir prendre son temps.

« Les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux, qui ont en commun d’avoir donné la parole à ceux qui ne l’avaient pas, ce qui aurait dû constituer un progrès important, ont charrié leur lot d’excès, enrichissant parfois le débat public, l’appauvrissant souvent. »

C’est presque un cours de droit public qui est proposé au lecteur, mais toujours accompagné d’une réflexion sur la mise en œuvre dans la réalité des règles écrites, ou induites : la notion de l’exercice du pouvoir à quatre mains, au-delà du gouvernement tout entier, s’est avérée une découverte pour moi. La nécessaire relation de confiance (non écrite, elle !) entre le Président de la République et son Premier ministre est mise en exergue, avec un retour sur les périodes de cohabitations qui, si elles ont imposé la « collaboration » de personnalités aux opinions contradictoires, n’ont cependant pas constitué un danger pour la démocratie.

« A Matignon, on peint impressionniste ; à l’Elysée, on a besoin de lignes claires. »

Au travers de chapitres sur des thématiques spécifiques approchées depuis sa nomination à Matignon jusqu’à sa démission, Edouard Philippe (car c’est manifestement plus lui que son alter ego qui se raconte !) évoque ainsi des personnages, des grands dossiers, des anecdotes et des questions de société avec un recul bienvenu, dépourvu de l’agitation pressante des médias : constitutionnalité, transition énergétique, économie, pandémie, …

Peu importe qu’on adhère ou non aux solutions politiques, le propos est sain car humble et dépourvu de malice : il s’agit de constats, et on est amené à plusieurs reprises à noter que les propositions formulées hors le cadre de l’exercice du pouvoir semblent bien plus difficiles à défendre lorsqu’on y accède ! Et savoir reconnaître qu’on ne sait pas, une vertu qui mériterait de se propager…

« Aucun élément de langage n’est aussi efficace que la vérité. »

J’ai aussi apprécié le dernier chapitre aux entrées multiples, où le Premier ministre décrit en un paragraphe des lieux, des moments, des rencontres, des femmes et des hommes qui l’ont marqué.

Voilà l’intérêt de ce livre : tout en contant une page de leur histoire, et donc de la nôtre, l’ancien Premier ministre et son meilleur ami passent en revue les arcanes du pouvoir, les petites ou grandes indélicatesses, les dessous de certaines décisions, en égratignant certains de leurs collègues ou de leurs opposants, toujours avec élégance.

« C’est une règle de la politique qu’il ne faut jamais oublier : ce que l’on dit est toujours moins important que ce qui est entendu. »

C’est à la fois sérieux et plein d’humour, documenté et d’une grande richesse littéraire. Ce fut un vrai plaisir de lire ce document !

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2 réflexions sur « Impressions et lignes claires »

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