Randy Kennedy
Traduit par Éric Moreau
345 pages
Éditions Delcourt Littérature, 2019
Texas, novembre 1972.
Troy a un jour décidé de ne plus rien posséder. Il vole donc des affaires dans les chambres d’hôtel et endosse l’identité du volé, ses vêtements et conduit sa voiture durant quelques temps avant de se débarrasser du tout pour recommencer avec un autre.
Le risque étant de se faire prendre… Mais Troy est toujours très prudent.
Jusqu’à ce que, après six ans d’une telle vie, il soit amené à aider son frère cadet Harlan, qui recherche son ex-femme Bettie, partie avec l’héritage de son père. Cette Bettie est une vieille connaissance de Troy… qui veut donc également la retrouver…
Les deux frères se mettent ainsi en quête, mais la voiture qu’ils volent contient un élément imprévu : une petite fille, Martha, qui va exiger d’eux qu’ils la ramènent près de son père au Mexique. A défaut, elle les dénoncera.
La première partie est majoritairement consacrée à la narration de la vie de Troy, alternant les notes qu’il a prises au fil de ses déplacements et la description de ce qu’il a fait. La seconde est plus axée sur les pérégrinations des deux frères et l’exposé de ce qui a conduit Martha à se retrouver loin de sa famille mennonite et notamment loin de son père. Ce père lui-même objet durant son enfance d’un long périple jusqu’au Manitoba.
Ça peut paraître lent, car Randy Kennedy ne propose pas énormément d’action. Mais cette lenteur convient bien aux descriptions du Texas, de ses longues étendues poussiéreuses, de la chaleur qui s’abat sur vous, de ces villages qu’il est possible de traverser incognito si on choisit les bonnes heures. Au travers du prisme de ses personnages, le lecteur regarde différemment ce paysage, s’imprègne de sa beauté et de fait, s’évade totalement.
Troy, amoral s’agissant de son rapport à la possession, se révèle malgré tout dans ses notes et ses actions attachant et plein d’humour. Les relations entre les deux frères, dont les personnalités sont aux antipodes, s’avèrent entachées de non-dits anciens et de rigidités, chacun campant sur ses positions : le premier vol commun de voiture est ainsi décrit de manière très drôle. De façon subtile, l’auteur nous laisse entrer dans l’intimité de ces hommes marqués par leur enfance et évoque avec pudeur les rapports à leurs parents.
L’arrivée de Martha dans leur périple va cependant les obliger à s’accorder durant un laps de temps. La petite fille, qui a déjà bien vécu malgré ses onze ans, propose un personnage à la fois très sûre d’elle et malgré tout avec des réactions de son âge. Et son implication dans l’histoire permet également l’évocation d’un pan de celle de son père et des « campos » mennonites au Mexique.
De New Cona à Presidio, voici un road-trip très complet que je verrais bien devenir un road-movie, tant les détails inhérents aux personnages et aux paysages sont précis. Les grandes étendues, la vieille guimbarde, les couchers de soleil mériteraient qu’on s’arrête instant pour les contempler, quitte à devoir ensuite s’ébrouer pour chasser la poussière.
Un grand merci aux Éditions Delcourt Littérature pour m’avoir permis de découvrir ce superbe premier roman.
Citations
« (…) ma véritable profession consiste à perpétuer une vie presque totalement affranchie de la propriété privée – tâche délicate et très précaire. »
« Si l’on portait le regard vers l’horizon, la prairie tout entière semblait encore être un plateau, pourtant des dunes basses s’y élevaient, dissimulées par leur uniformité, illusion d’optique rompue seulement quand le balancier noir d’un chevalet de pompage émergeait et disparaissait parmi elles, tirant sur sa tige à un rythme régulier. »